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Les Chroniques

Dans les branches, Thierry Metz (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 20 Octobre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Dans les branches, Thierry Metz, éditions Le Ballet Royal, décembre 2020, 62 pages, 13 €

 

Habitation

Je suis heureux de faire part ici de mon sentiment au regard de ce petit recueil de Thierry Metz, disparu en mettant fin à ses jours en avril 1997. Je fais cette remarque car je découvre cette écriture. Et c’est grâce à l’amitié de Jean Maison, qui a composé plus un vrai texte qu’une postface à cette réédition, que je peux lire cette tragique position devant le monde. Car c’est bel et bien devant que se poste Thierry Metz. Devant le monde, un monde de signes restreints, voire fragiles, éthériques, une habitation poétique qui campe un espace de très peu de signaux, et de plus témoignant de l’abrupte réalité sans images, sans métaphores, sorte d’univers anorexique, essoufflé, côtoyant le vide. C’est ainsi d’abord une vision de la présence humaine, demeure intérieure qui s’ouvre sur quelques mots ; huis, fenêtre, description presque glaciale de la porte, de la table, et peut-être un rayon d’une lumière innommable venant frapper le sol dur du texte. On goûte une espèce d’élixir de mort.

Par où Or (ne) ment, Vincent Wahl (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 19 Octobre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Par où Or (ne) ment, Vincent Wahl, Éditions Henry, Coll. Les Écrits du Nord, avril 2021, 204 pages, 14 €


Cet opus constitue la preuve par sa publication que la poésie peut prendre en charge la réalité, en l’occurrence le réel économique contemporain puisque le focus de ses mots s’est orienté sur un examen de l’économie néolibérale en cours (« Aucun de nous n’échappe à l’économie. Comment la poésie le pourrait-elle ? »). Davantage, ses mots se livrent au combat contre cette perspective économique : « quiconque en empoigne le pommeau, écrit Alain Damasio dans la préface, peut ressentir, je crois, cette excitation étrange d’avoir enfin une arme pour se battre (…) contre ce qui nous tient, se battre moins en frappant qu’en jouant du tranchant de la lame pour découper cette viande d’évidence qui s’avançait fauve et qui n’est qu’un monstre de papier, de frictions et de croyances : l’économie néolibérale, toute rugissante dans sa dette ».

Ars Poetica, Poèmes bibliques, Yorgos Thèmelis (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 18 Octobre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Bassin méditerranéen, Poésie

Ars Poetica, Poèmes bibliques, Yorgos Thèmelis, Éd. Ressouvenances, mai 2021, trad. grec moderne, Bernard Grasset, 188 pages, 21,99 €

 

La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement.

Luc XXII, 23

 

Poèmes aigus

Pour définir mon sentiment à l’égard de cette traduction et du travail de Bernard Grasset, je voudrais user d’un peu d’étymologie avec une certaine licence. Car ces poèmes aigus, comme le titre de cette chronique le souligne, s’apparentent intellectuellement à la définition du baroque, ici pensé comme perle irrégulière. Et comme de plus cette poésie défend une idée de la croyance religieuse (orthodoxe ?), cette perle irrégulière donne à penser au caractère aigu de l’irrégularité de la perle. Angles, décrochements sur la page, majuscules, tout est ici hérissé, cubique.

Toutes ces foutaises (Kol hadha al-haraa), Ezzedine Fishere (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 15 Octobre 2021. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Toutes ces foutaises (Kol hadha al-haraa), Ezzedine Fishere, Editions Joëlle Losfeld, mars 2021, trad. arabe (Egypte) Hussein Emara, Victor Salama, 283 pages, 22 €

 

« Ce roman est constitué de récits que m’a remis Omar Fakhreddine. Il m’a appelé un jour de l’été 2016. D’habitude, je ne réponds pas aux numéros inconnus, mais je m’ennuyais ce jour-là et je n’avais rien à faire, alors j’ai décroché ».

La genèse d’une œuvre peut tenir à peu de choses. Si Ezzedine Fishere ne s’était pas ennuyé le jour où Omar Fakhreddine l’a appelé pour lui proposer de transcrire ses histoires, ce roman n’existerait pas…

Le procédé littéraire n’est pas nouveau. Nombre de romans, et non des moindres, sont nés, aux dires de leur auteur, soit de la transcription de ce qui lui a été confié par les personnages qui déclarent en avoir vécu les péripéties ou en avoir été les témoins, soit de la copie ou de la reconstitution de manuscrits dont il a découvert l’existence mystérieuse dans des greniers, des caves, des grottes… Ici (nous sommes au siècle des technologies de la communication), l’auteur a pour mission de transcrire et de publier des enregistrements vocaux réalisés sur des clés USB que lui remet Omar.

Mohamed Leftah ou l’écriture crépusculaire (par Yazid Daoud)

, le Jeudi, 14 Octobre 2021. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Les romans de Mohamed Leftah sont connus pour leur brièveté et leur poésie. Ses textes rythmés et nimbés (mot qui revient très souvent chez l’auteur) de plaisir, de désir et de sexualité ne cachent pas l’atmosphère maussade et lugubre où vivent les personnages. Au bonheur des limbes est le roman d’un personnage anonyme qui, dans un récit à la première personne, raconte sa vie dans le Don Quichotte, bar où se réunissent des personnages mi-fictifs mi-réels. Le roman est presque enfermé dans ce bar que le narrateur assimile à un enfer (selon lui, c’est une fosse, une catacombe…). Le mot fosse suggère aussi, dans le domaine du spectacle, un endroit invisible aux spectateurs et où se cachent des orchestres. Le roman serait ainsi une descente vers le monde inconnu des habitués des bars nocturnes. L’écriture crépusculaire réside dans le fait où le lecteur a toujours l’impression d’être dans un endroit « ailleurs ». Les personnages, leurs paroles et leurs actions laissent voir une spatialité infernale, une existence post-mortem. En témoigne la présence d’un chien nommé Minos qui réfère au Minos de la mythologie grecque, juge des Enfers : « Minos est le chien au cœur fidèle du ‘Don Quichotte’. C’est Warda qui lui a donné le nom de ce chien qui, dans l’Enfer de Dante, enroule sa queue pour indiquer aux condamnés à quel cercle ils doivent descendre » (éd. La Différence, p.45).