Quand j’étais ton père, Guillaume Viry (par Didier Ayres)
Quand j’étais ton père, Guillaume Viry, Les éditions Moires, novembre 2021, 88 pages, 13 €
Au tréfonds
Cette pièce de théâtre de Guillaume Viry m’a beaucoup touché dans le sens où je comprends dans ma chair cette relation du père au fils, qui relate quelque chose qui va aux tréfonds de la psyché, celle du fils tout autant que celle du père. Ma propre histoire familiale ressemble en un sens à celle que narre la pièce. De ce fait j’ai revécu, un peu « cathartiquement », mon rapport au père.
Les trois actes de ce texte filment, si je puis dire, les possibilités et les impossibilités de la conversation entre les deux protagonistes. Ainsi, puisque je viens de parler de catharsis, je me suis remémoré une conversation où nuitamment mon père adossait les destins de poète et d’industriel, avec évidemment un choix radical pour celui-ci. Donc, il s’agissait pour finir d’une fin de non-recevoir.
Ce commerce de la parole finit ici par confiner à la haine, et sans doute aussi à l’amour impossible venant du père, lui-même pris sans doute par une carence, un manque et peut-être, devine-t-on, un secret de famille. Donc : respect et colère, sentiment d’empathie et d’antipathie, d’approche et de rejet, de douceur et de violence, de connaissance et d’aveuglement.
J’ai donc lu très largement ce texte comme on le ferait dans un cabinet de psychanalyste ; je trouve à cet égard la pièce réussie. Car mêlant un travail de mémoire à celui de l’étrangeté que l’on peut ressentir devant l’énigme du père-commandeur, tout cela jaillit du noir, de la ténèbre, de l’ombre nocturne seule à pouvoir autoriser une prise de parole quand la lumière rendrait toute vérité impossible. Nous sommes donc avec Guillaume Viry dans un aveu sombre et pathétique, ce père finissant par être homme et cela avec la méchanceté inhérente aux caractères lunaires.
Ainsi, ce drame rejoue tous les drames de la filiation difficile, voire brutale. Nous ne sommes nullement dans la parabole du fils prodigue mais davantage participant à un théâtre œdipien. Et cette crise de la parentalité malheureuse ressemble à un complexe d’Œdipe raté, mais en cela justement fructueux, alors qu’un Œdipe réussi aurait consacré un ratage devant le père. Je pèse mes mots car ma propre situation y ressemble.
J’utilisais tout à l’heure le mot filmer car j’ai trouvé des accointances avec le cinéma, plus peut-être qu’avec le théâtre. Tout de suite m’est venue à l’idée cette scène de la fin de Sonate d’automne d’Ingmar Bergman, au sujet de cette conversation entre la mère et la fille qui ressemble à une apogée de leurs relations dans les larmes et l’angoisse. Il y a aussi un peu de White Matérial de Claire Denis, pour l’aspect fictionnel d’une Afrique rêvée. Il y a sans doute encore une inquiétude morbide comme celle de La Chasse de Carlos Saura.
Très généralement je crois que cette pièce est mentale plus qu’hyperréaliste. Le secret de cet échange de propos où le combat de deux volontés, de deux destins agit en sourdine, en profondeur au sein de la psychologie, au sein de cette psycho-analyse de la liaison de deux personnes antagonistes, nous concerne par son aspect à la fois désinhibiteur et dialectique.
LE FILS. – Tu en fais des efforts,
des efforts pour me rendre fou.
Malgré toutes tes peines, tu n’y arriveras pas.
Que veux-tu ?
Que je redevienne l’enfant qui riait de tes moindres gestes ? Que je sois celui qui se pliait en deux à chacune de tes blagues ? Que mon cœur ne soit que battements spasmodiques ? Tellement occupé par la peur et l’admiration à chaque fois qu’il te voyait entrer au milieu de ce cercle.
Cela que tu espères ?
Mais quel âge as-tu donc ?
LE PÈRE. – Que puis-je donc espérer
à mon âge ?
Je conclurai là cette recension en rappelant que le travail du théâtre poursuit depuis toujours la purgation des passions. Et dès lors, cette purgation procure un apaisement suffisant pour poursuivre en soi sa propre analyse, celle des passions, de l’animadversion ou de l’éréthisme où balancent les sentiments humains.
Didier Ayres
- Vu: 1993