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Les Chroniques

Automne allemand, Stig Dagerman (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Jeudi, 12 Octobre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Langue allemande, Babel (Actes Sud)

Automne allemand, Stig Dagerman, Actes Sud (1980), Coll. Babel, 2004, trad. suédois, Philippe Bouquet, 176 pages, 7,10 €


Il faut avoir l’estomac solide pour passer à travers cet Automne allemand de l’écrivain suédois, connu surtout pour Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, court monologue très émouvant qu’il a écrit six ans plus tard. Dagerman y écartera, l’une après l’autre, toutes les consolations qui s’offrent à notre solitude et à notre difficulté de vivre, mais n’apportent qu’un réconfort passager quand elles sont authentiques (comme une âme sœur, une promenade, un animal bien vivant à côté de nous), ou conduisent au désespoir quand elles sont fausses (les plaisirs tous azimuts). À la fin, toutes nos croyances s’écroulent, mais le doute lui-même semble prétentieux car il est « lui aussi, entouré de ténèbres ». Reste le « silence vivant », le désir de vivre, de ne pas se laisser écraser par le nombre. Pas le genre enjoué vraiment, mais la personne parfaite pour aller faire un reportage, à l’âge de 23 ans, sur ce qui se passait chez les Allemands dans « cet automne triste, froid et humide » de 1946.

Une tendance contemporaine de la nouvelle : la nouvelle-instant (par Olivia Guérin)

Ecrit par Olivia Guérin , le Mardi, 10 Octobre 2023. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

La représentation du genre de la nouvelle la plus largement répandue dans le grand public est celle d’un texte narratif bref, centré sur le déroulement d’une histoire et l’enchaînement de péripéties en nombre restreint, orienté vers une fin, matérialisée par une chute qui se veut surprenante.

Les concours de nouvelles que l’on voit actuellement se multiplier sur Internet et qui sont un vecteur non négligeable de diffusion du genre de la nouvelle auprès du grand public, se fondent généralement sur cette conception classique du genre. Ces attendus traditionnels ne manquent pas d’être rappelés dans les règlements de concours, parmi lesquels nous citerons au hasard celui-ci :

Rappel : Définition d’une nouvelle : « c’est un écrit simple, concis et intense, présentant peu de personnages, se déroulant sur un temps relativement court, pouvant comporter des indices et des pistes favorisant le suspense et se terminant par une chute originale ou déroutante qui respecte cependant la cohérence du récit ».

Comédie d’automne, Jean Rouaud (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Lundi, 09 Octobre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Comédie d’automne, Jean Rouaud, Grasset, août 2023, 284 pages, 20,90 €

 

Triste comédie

Sans doute est-ce un vœu pieux de recenser, mot de Rouaud, son dernier livre, sa Comédie d’automne, car l’auteur ne fait que narrer sa fabrique romanesque, expliquer, justifier, raconter ce qu’il raconte mieux que quiconque et qu’il a vécu : le making-of du Goncourt.

Ce livre de Jean Rouaud est moins centré sur le livre que sur ses banlieues, son magnum circum, sa warholisation au bout du compte tellement affligeante, tellement triste. C’est ici le sujet, la triste comédie où l’auteur est embarqué, comme une paille sur le ruisseau et, s’il le dépasse, c’est par la littérature, bien sûr !

Lisons, c’est du Rouaud !

Livre tellement utile, tellement beau et tellement triste. Pour qui écrit, veut écrire, tente d’écrire, ici, par exemple le modeste autant qu’humble recenseur de Jean Rouaud, tout de cette écriture sauf l’écriture elle-même est démoralisant. Décourageant bocal littéraire. Sous vide ! Décourageants rapports de force et de farce.

Une révolution dans la pensée, Jean François Billeter (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 05 Octobre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Une révolution dans la pensée, Jean François Billeter, éditions Allia, août 2023, 64 pages, 7 €

 

Une révolution dans la pensée ?? Pas moins ??!… Et par un homme seul, pour un projet global et dans un opuscule d’une cinquantaine de pages ?! On peine à le croire, mais, à le lire, le contenu est riche, le pari est tenu, l’affaire est passionnante. Voici en quoi.

Il faut une révolution, en effet, c’est-à-dire il faut retourner la catastrophe en cours : sans un nouveau commencement (une sorte de mutation personnelle, partagée de proche en proche, y pourvoirait), l’aventure humaine est finie, l’affaire est pliée. Et révolution dans la pensée, car la pensée est le pouvoir le plus général, le plus accessible, le plus proche (il suffit que chacun fasse l’effort de se servir de lui-même) : la pensée est en effet le pouvoir de se représenter ce qui importe, elle est la liberté de comprendre dans l’exigence de vérité. La vérité n’est pas ici un contenu, mais une exigence (un Trump, par exemple, ou un Poutine, ne pense pas, car il n’exige pas la vérité de son propre discours ; il ne pense pas, il se parle – surtout de lui-même – à voix haute, et fait vivre ce qu’il veut réel, sans tenter d’éclairer ce qui rend réel ce qu’on vit).

Voyous de velours ou l’Autre Vue, Georges Eekhoud (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 03 Octobre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Voyous de velours ou l’Autre Vue, Georges Eekhoud, éditions GayKitschCamp, 2015, 180 pages (notes et analyses de Mirande Lucien), 20 €


« beaux de la beauté primordiale, brutes libres et impulsives, candides dans leur perversité même »

Voyous de velours, publié par le Mercure de France en 1904 sous le titre L’Autre Vue, puis sous son titre définitif en 1926 à La Renaissance du livre, constituera pour les curieux une excellente introduction à l’univers (à l’imaginaire, aux fixations, à la géographie intime, à la langue) de Georges Eekhoud, né en 1854 comme Rimbaud. On peut en effet considérer ce bref récit comme une sorte de manifeste romanesque où l’auteur, à travers le personnage de Laurent Paridael, déjà présent dans La Nouvelle Carthage en 1888 et soudain ressuscité puisqu’il y disparaissait lors d’un incendie, donne l’impression d’avoir essayé de condenser une vision du monde et une vision de la société – une érotique et une éthique.