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Les Chroniques

Magnifique, Jean Félix De La Ville Baugé (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Vendredi, 22 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Magnifique, Jean Félix De La Ville Baugé, Éditions Télémaque, septembre 2023, 235 pages, 19 €

 

« Quoi de plus difficile que de raconter la vérité », écrit Tolstoï dans les premières pages de Guerre et Paix. Et nous de partir dans ce Magnifique, avec la phrase en bandoulière… Histoire de résilience ? Mais comment peut-on parler de résilience à la manière des nôtres, négociant quelque baume après une défaite sentimentale, lorsqu’il s’agit du Rwanda, celui de 1994, celui où les Hutus « ont coupé tous les jours, pendant cent jours, des hommes, des femmes, des enfants, que, le plus souvent ils connaissaient ». L’image de la couverture du livre – Patrick Robert, Juillet 1994, fort belle, quasi pacifique – montre un oiseau (de proie) planant entre de hautes et vertes frondaisons ; le ciel est bleu ; en dessous, au sol – nous ne le voyons pas, un vaste charnier… Tout est dit du livre – cet immense livre – dans le titre, nom de la femme qui parle, la photo et la façon dont elle est exploitée, et bien sûr, ces 3 lignes disant un des pires génocides de notre histoire récente.

La nuit est toi, Claire Boitel (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 21 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La nuit est toi, Claire Boitel, Éditions Fables fertiles, avril 2022, 96 pages, 15 €

 

Une narratrice hantée par un récit commun aux multiples diffractions… Mise en abyme de l’acte scriptural littéraire plongeant jusqu’à l’abysse de « la mer écrite » (Marguerite Duras) et dédoublement presque dostoïevskien ou nervalien transportant (transe portant) le lecteur « dans les méandres envoûtants de mystérieuses variations organiques, quasi intuitives », défiant la stabilité du sol. Déviances ou déséquilibres fulgurants voire effondrements de nos centres de gravité qui, nous jetant hors, se dérobent parfois ou font que nous sentons à notre insu le sol se dérober sous nos pas marchant à vue, à l’aveugle ou pris de vitesse, sous nos avancées chaotiques…

La nuit est toi de Claire Boitel est de ces récits aux versants sombres et visionnaires, sans être tout à fait obscurs, à la frange du réel et des zones fantastiques où l’être à tâtons avance, trébuche, VOIT son jumeau inversé dans le miroir, bouscule les repères, près de basculer dans le vide abyssal tentaculaire d’un monde peuplé. La nuit est toi retentit d’une lumière qui perce l’abcès de nos noirs silences serrés entre nos mâchoires d’angoisse, là où les loups les louves de la nuit lunaire ont des dents étincelantes au bord de la bouche rouge incendiée par le craquement des mots

Grand Saint Vincent, Éric Sautou (par Marc Wetzel)

, le Jeudi, 21 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Grand Saint Vincent, Éric Sautou, Editions Unes, juin 2023, 104 pages, 19 €

C’est un livre important et particulièrement périlleux. Des trois parties du recueil, la première (la plus longue, et redoutable), titrée Le Pont noir – et sous-titrée « Jeffrey Dahmer » au sommaire – s’avance comme l’expression lyrique d’un tueur en série bien réel et spécialement répugnant – charcutier virtuose et cannibale – des années 80-90. Le malaise du lecteur n’est donc pas feint, l’audace du poète est sans précautions. Voici ce qui se passe et ce qui s’énonce dans ces pages occupant les trois-quarts du tout. Quelqu’un de jeune – qui dit de plus en plus ouvertement « je » – torture d’abord de jeunes animaux (mulots, écureuils, divers oiseaux), en montrant lentement (mais méthodiquement) sa « force ».

Plus loin, il demande « l’autorisation » (sinon parentale, du moins éthico-sociale) de brûler sa propre maison (pouvant s’approcher, on l’entendrait dire « s’il vous plaît », en transportant ses bidons, et tenant sa torche). Il déclare « dormir de peur », et s’en explique : lui, l’homme poly-craintif, n’a jamais peur dans l’ombre, et se retrouver, dans l’inconscience, ainsi à l’ombre de lui-même, l’apaise. Il boit sans mesure (il jette de l’acide sur ses entrailles, comme, dit-il, au-dehors on soulèverait des pierres pour les jeter au ruisseau). Il est ému par la beauté, mais elle ne reste pas ; même quand il la laisse faire, quand il ne lui résiste plus, quand à l’évidence elle vit davantage que lui, elle ne reste pas. Sur ce qui est meilleur que lui – et c’est à peu près le monde entier ! – il ne sait pas, voilà tout, compter.

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 18 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Folio (Gallimard)

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau, Folio, février 2023, trad. anglais (USA) Thierry Gillybœuf, 656 pages, 10,90 €

 

Premier ouvrage publié du vivant de Thoreau (1817-1862), A Week on the Concord and Merrimack Rivers (1849) est la narration d’un voyage effectué par l’auteur et son frère en 1839, narration resserrée en sept jours pour autant de thématiques après le décès du second ; un in memoriam orienté vers une double expérience vivante : l’aventure sur des cours d’eau bordés d’une civilisation américaine naissante et du fantôme d’une civilisation amérindienne agonisante au mieux, et l’aventure de la pensée d’un homme qui va publier bientôt en revue La Désobéissance civile, est en train de mener la vie que l’on sait à Walden (expérience mise en livre en 1854) et tient un Journal dont seront extraites d’innombrables maximes avant qu’il soit publié bien après le décès de son auteur. Cet ouvrage est donc une clé pour saisir la pensée de Thoreau, ainsi que son style, et d’aucuns le considèrent comme une œuvre majeure du dix-neuvième siècle – à commencer par l’excellent traducteur et éditeur Thierry Gillybœuf, dont la passion pour la littérature américaine se lit depuis de nombreuses années au fil de traductions éblouissantes.

Betty, Tiffany McDaniel (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 15 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, USA, Roman, Gallmeister

Betty, Tiffany McDaniel, éditions Gallmeister, 2020, trad. américain, François Happe, 480 pages

 

J’ai volontairement laissé le livre derrière moi. Pour ne pas être tentée de le citer, par passages. Pour le plaisir de la décantation. J’ai repensé aux toiles d’Anselm Kiefer qui vivent à l’extérieur, des jours, des mois, des années sans que le peintre ne les retouche. Afin que toute chose du monde s’y dépose. Pour l’empreinte et l’altération. Ou l’innocence corrodée.

Le livre est resté aux Samoa américaines. Sur l’île de Tutuila où je suis restée trente jours. Et je n’ai pris aucune note. J’ai voulu me souvenir. Page après page. Du visage de Betty. Comme celui de chaque femme et de chaque homme, aux Samoa, qui ont placé entre mes mains un fragment de leur île. J’ai songé à Betty, à son enfance relatée, ses pages d’écriture. À tout ce que l’on enfouit, ce que l’on apprend et qu’un voyage désapprend. Ou confirme. Le début. La fin. Trop précipité ou trop autoritaire.