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Les Chroniques

Jérusalem, William Blake (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 28 Août 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie, Arfuyen

Jérusalem, William Blake, éd. Arfuyen, juin 2023, trad. anglais, Romain Mollard, 192 pages, 17 €

 

Énigme

Le voyage complexe qu’est le voyage du lecteur ici doit rester actif jusqu’à la fin du recueil, poursuivant une déambulation langagière pleine d’énigmes, de mots, d’épithètes et de noms propres qui dessinent comme une épopée tout autant articulée sur un récit que sur une musique ou un travail d’orfèvrerie au sein du langage. C’est en vérité une vision du monde – vision sujette à l’intellection. On ressent nettement que cette imagination est celle aussi d’un peintre, donc hanté par les images. On ressent nettement le peintre derrière le poète.

Oui, mais quelles images ? Breughel l’Ancien, Odilon Redon, toutes les versions classiques du thème de la Tentation d’Antoine, bien sûr Gustave Moreau. Enfin une peinture chargée de symboles et de clés subjectives. Et quels livres ? Un peu de l’Apocalypse, de la Légende des Nibelungen, d’Homère, de l’Enfer de Dante, et tout cela dans un art de la surcharge, un travail ressemblant en un sens à l’épopée de Milton.

Fils, Olivier Vossot (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 23 Août 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Fils, Olivier Vossot, La Crypte, avril 2023, 108 pages, 15 €

Un père alcoolique, faible et qui « brûle seul » (qui déploie sa rare énergie à la consumer, et ne paraît rayonner que pour « éteindre tout » le reste, p.40) ; voilà le viatique éducatif de l’auteur, donnant lieu à une sorte de pénitentiel et pénitentiaire récit – ou plutôt relation impressionniste, car tout revient comme voleter au-dessus d’un centre qui toujours se dérobe – de formation. C’est que le géniteur a pris pour lui (et non sur lui !) tout le vestiaire des conditions, n’a pas laissé vacante la place à prendre, par l’autre, pour devenir soi. Il aura comme muré le préau d’investiture :

« je commence

et tu n’as pas de fin

tout menace d’éteindre tout

brûle du feu déçu piétiné

brûle seul

ne brûle pas » (p.40)

Apprendre à faire l’amour, Alexandre Lacroix (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 21 Août 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, Essais, La Une CED

Apprendre à faire l’amour, Alexandre Lacroix, Champs/Flammarion, mai 2023, 224 pages, 9 €

Ce matin à la radio, What’s going on de Marvin Gaye : la voix du chanteur-phare de la Motown, sensuelle, dont chaque intonation est servie par une tessiture qui tient du velours et de la soie tout en étant un coton rassurant, vogue sur des arrangements complexes et un rythme qui échappe au binaire. Alexandre Lacroix marquera son accord à la comparaison : cette chanson de Marvin Gaye donne envie de faire l’amour à la femme aimée, d’accorder les coeurps (néologisme indiquant une préférence pour un « holisme strict » tel que défini dans Apprendre à faire l’amour) à ses vibrations – et si la femme aimée est absente, cette chanson fait penser à elle, tout comme la jazzy et rythmiquement affolante Wild is the wind interprétée par Nina Simone, envoûtante elle aussi dans la présence et dans l’absence. Tout le contraire d’une chanson contemporaine à celle de Gaye, 1971, signée James Brown, Hot pants, dont le titre seul (« mini-short moulant ») indique la teneur : alors que Gaye fait l’amour, Brown baise. Chez le second, cette rythmique lourde et répétitive, cette voix qui tient du feulement, du cri, et de tout ce qui rugit entre les deux, c’est de la baise. Voici, en deux chansons, expliquée la teneur du bel essai d’Alexandre Lacroix, Apprendre à faire l’amour, découvert par le biais d’une brillante interview radiophonique – écouter la radio, donc, pour avoir envie de faire l’amour et en entendre parler.

Céline, Romans en La Pléiade (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 13 Juillet 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Roman, La Pléiade Gallimard

Céline, Romans 1932-1934 (1), Romans 1936-1947 (2), Album Louis-Ferdinand Céline, Frédéric Vitoux, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, mai 2023, 1552 pages, 1952 pages, 149 € le coffret jusqu’au 31/12/2023

« Le travail, l’écriture sous le signe de la grand-mère, on ne saurait mieux dire. L’écriture pour distinguer le vrai du faux. Ou l’émotion du frelaté. La modeste besogne du styliste à l’écart des charlatans de la littérature… Tout est là ! » (Frédéric Vitoux).

« Les intervalles provoqués par la dislocation de la phrase sont partout là pour suggérer ce que les mots sont impuissants à dire. Qu’il s’agisse de laisser vibrer une note, de suppléer ce qui n’a pas été dit, ou seulement d’attendre, en retenant son souffle, que la parole reprenne, ces silences si spectaculaires dans l’écriture célinienne sont une des justifications les plus sûres du nom qu’il lui donne de musique » (Henri Godard, Préface).

« C’est la première fois dans cette mélasse d’obus qui passaient en sifflant que j’ai dormi, dans tout le bruit qu’on a voulu, sans tout à fait perdre conscience, c’est-à-dire dans l’horreur en somme. Sauf pendant les heures où on m’a opéré, j’ai plus jamais perdu tout à fait conscience. J’ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête » (Guerre).

Une femme en contre-jour, Gaëlle Josse (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Jeudi, 13 Juillet 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Une femme en contre-jour, Gaëlle Josse, Éditions Noir sur Blanc, 2019, 160 pages, 14 €

Une silhouette de « vieille dame solitaire » est assise sur un banc. Elle se fond dans le paysage : « Jour blanc. Le froid entrave sa respiration comme si des glaçons s’insinuaient dans ses poumons à chaque inspiration ». Qui se préoccupe de sa présence ? Les passants passent indifférents pourtant ils la retrouvent chaque jour à la même place. « Elle est sortie malgré le froid qui enserre la ville dans son emprise… ». « Quelques fragments épars surnagent peut-être dans l’océan enténébré d’une mémoire oscillante, fugitivement embrasée, par instants, comme le faisceau d’un phare à éclat ». Ainsi démarre l’histoire passionnante dans laquelle Gaëlle Josse embarque son lecteur dans une étrange pérégrination à travers la vie d’un personnage énigmatique.

Gaëlle Josse s’empare d’une destinée devenue célèbre pour en faire l’objet d’un biographe éminemment littéraire, Une femme en contre-jour. Par le plus grand des hasards, un agent immobilier découvre un jour le travail d’une photographe dans un garde-meuble. Résoudre l’énigme de la personne qui a amassé une quantité innombrable de clichés, de négatifs, non développés, devient une véritable obsession pour cet homme qui espère avoir découvert un trésor et devenir riche et célèbre. Mais l’aventure prendra un tour imprévu. « Entrer dans une intimité, c’est brasser des ténèbres, déranger des ombres, convoquer des fantômes… ». Il ne sera pas le seul. Un historien s’intéressera de près à cette histoire. L’entreprise s’avérera longue et pleine d’embûches.