Fille du chemin, Jean Pierre Vidal (par Didier Ayres)
Fille du chemin, Jean Pierre Vidal, éd. Le Silence qui roule, janvier 2024, 95 pages, 12 €
Côte à côte
Le dernier livre de Jean Pierre Vidal ne se comprend que duel, en relation, dans un rapport à autrui. Un lien avec autrui, une autre, fût-elle inconnue. Pour paraphraser Paul Ricœur, ce livre aurait pu s’intituler « Soi-même comme un autre ». Grâce à cette intersection de deux parallèles (et l’on sait qu’elles se rejoignent à l’infini) on devine quelque chose de l’amour, sans doute profane mais qui semble, au-delà, un amour sacré, comme s’il fallait une forme à celle qui est absente, un accueil, une présence, la présence du poète.
Ce livre est aussi un texte sur l’abandon, sur la perte, là où le poète doit abandonner l’aimée, ou plutôt, la confiant au poème, lui donner une forme d’éternité. Une absente éternelle dans le poème, quittant son statut physique pour devenir une allégorie, un ensemble de métaphores de la femme. Du reste, on reconnaît parfois Sylvie, fille du feu de Nerval, apparaissant comme en palimpseste.
Par ailleurs, c’est un exercice d’admiration, tout aussi bien qu’un vadémécum de la séparation, du double, de ce qui devient l’aimée absente, aimée de chair mais entourée d’un mystère (par exemple ce chemin fait à deux dans la montagne, avec une Japonaise qui n’échangera pas une parole, y compris au gîte). Ce qui sauve de l’angoisse, c’est une demeure, un for intérieur habité poétiquement. Donc, pas de banalités mais la description d’un sentiment d’amour, d’un besoin. La présence d’une touriste à flanc de montagne, si je puis dire, devient une sorte de Vénus froide, une femme plastique qui garde son mystère et son intérêt fondamental pour le poème.
Pourquoi ai-je su rencontrer ton visage ?
Il m’attendait ?
Je l’attendais ?
Étais-je cette attente de ton visage ?
Un visage dessine une attente non sue
Qui soudain s’impose
explose
Un visage, soudain !
Tout revient à la déambulation, au pas (et l’on sait que deux promeneurs côte à côte marquent le même pas, le même souffle et le même battement de cœur), à une chose immatérielle qui est la dépense du temps, valeur infinie et qui n’existe pas à l’état solide. On se souvient aussi de ce beau passage de L’Être et le Néant, où Sartre explique qu’assis au Luxembourg seul sur un banc possède le monde, jusqu’à la venue d’autrui, quand la réalité soudain glisse et se partage vers le nouveau venu qui s’empare de ce monde devenu sien.
Pour faire bref, je dirai que cette perspective de la rencontre pourrait se comparer au Nadja de Breton, en tout cas, au sujet de la poursuite d’une femme, ici, dans le cas de Breton, de la femme fée du surréalisme.
Si l’autre se donne : ne le prends pas.
Ne le renvoie pas.
Reçois-le, sans le prendre.
Oui, ce livre, au-delà de ce qui le mène, est aussi un partage, le pain commun du lecteur et de l’écrivain, sorte de relation tripartite : le poète, la femme, le liseur.
Didier Ayres
- Vu: 916