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Actes Sud

Continents à la Dérive, Russell Banks

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 16 Décembre 2016. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, USA, Roman

Continents à la Dérive, octobre 2016, nouvelle trad. américain Pierre Furlan, 448 pages, 23 € . Ecrivain(s): Russel Banks Edition: Actes Sud

 

Une nouvelle traduction d’un roman chéri, c’est comme une nouvelle robe sur une femme aimée : l’on se demande ce qu’elle va souligner de sa beauté, ce qu’elle va mettre en valeur de ses charmes, et l’on s’inquiète même un peu avant de l’apercevoir enfin… Ainsi, lorsqu’est annoncé par Actes Sud que Pierre Furlan, par ailleurs préfacier de la traduction précédente de Continents à la Dérive (1985) par Marc Chénetier, a retraduit ce roman, l’amateur de Russell Banks (1940) non anglophone s’attend, avec une légère pointe d’anxiété, à redécouvrir ce roman-clé dans l’œuvre de son auteur.

Afin d’apprécier le travail de traduction, il n’est que de comparer. Pour ce faire, voici la première phrase de l’Envoi de Continents à la Dérive (nous reviendrons plus loin sur cet Envoi, l’un des textes les plus lumineux sur la littérature et son importance essentielle parus ces cinquante dernières années) : « And so ends the story of Robert Raymond Dubois, a decent man, but in all the important ways an ordinary man. One could say a common man ». Dans la version de Chénetier, ça donne ceci : « Ainsi, donc, s’achève l’histoire de Robert Raymond Dubois, homme respectable mais, à tous autres égards qui vaillent, homme ordinaire ». Dans celle de Furlan, ceci : « Ainsi se termine l’histoire de Robert Raymond Dubois, homme convenable, mais, dans tous les domaines qui comptent, ordinaire ».

Dans la tête d’Andrew, E. L. Doctorow

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 15 Décembre 2016. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

Dans la tête d’Andrew (Andrew’s Brain), traduit de l’américain par Anne Rabinovitch novembre 2016. 191 p. 21 € . Ecrivain(s): Edgar Laurence Doctorow Edition: Actes Sud

 

Juste avant de quitter ce monde l'an dernier, Edgar Lawrence Doctorow nous a fait un dernier cadeau littéraire. Somptueux, révolutionnaire, il dynamite toutes les règles du récit classique et nous livre un roman beau à pleurer. Un monologue à trois voix. Est-ce possible ? Un narrateur, le narrateur devenu lui et les relances ou brefs commentaires du psy. Andrew est cerné par les tenants de la question sur lui-même. Il doit avouer, se dire, se pleurer, s’amender, parvenir peut-être à la rédemption ?

Mais il ne faut pas s’y tromper : ce « trilogue » intérieur masque un véritable vacarme et les voix qui s’y mêlent sont celles des vies d’Andrew, multiples et tumultueuses, traversées de moments lumineux et – toujours et durement – de douleurs incurables. Andrew le fils, le mari, le père, le divorcé, le veuf. Andrew le bourreau parfois, la victime toujours. On pense à l’arc d’Héraclite, dont le nom est vie et dont l’œuvre est mort. Andrew regarde et dit sa vie avec lucidité et sans jamais verser dans la plainte. Au contraire, il est d’une sévérité impitoyable avec lui-même, accordant aux autres toutes les vertus, à lui tous les vices. Et même ses vertus, nous dit-il, ne sont qu’apparences.

Elle lui bâtira une ville, Raj Kamal Jha

Ecrit par Martine L. Petauton , le Lundi, 28 Novembre 2016. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Roman

Elle lui bâtira une ville, octobre 2016, trad. anglais (Inde) Eric Auzoux, 411 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Raj Kamal Jha Edition: Actes Sud

 

Avant le livre, il y a L’auteur. Journaliste expérimenté, directeur de la rédaction à l’Indian Express, il avait écrit (2008, Actes Sud) un précédent roman, Et les morts nous abandonnent. D’un tel chef d’œuvre, tellement à part, à plus d’un titre bouleversant, dire – et, si vous ne lisez qu’un livre… apparaissait comme allant de soi, jusqu’à ce second ouvrage, presque 10 ans après. Autre pur chef-d’œuvre totalement dans la veine du précédent, avec sujet, cadre, architecture du récit, et leur dose de nouveautés, mais toujours dans ce regard sur l’Inde actuelle – lorgnettes croisées du fantastique, du rêve, du reportage. Écriture (et traduction des plus pertinentes), philosophie ; sociologie aussi, qui relèvent de cette magie venue d’une – très grande – littérature indienne, contemporaine, ou (et) intemporelle… Sans oublier, également, le film-documentaire, qui passe, implacable, entre les mailles de cette formidable histoire déjantée. Jamais bien loin de l’écrivain bouillant dans son imaginaire, le reporter, le citoyen, qu’on devine engagé, de l’Inde d’aujourd’hui ; celui qui donne à voir – autrement – et qui pointe : « une montagne d’ordures ; six canalisations d’égouts géantes qui attendent d’être installées Dieu sait où. Elles servent de domicile à des mères et à leurs bébés, qui viennent y dormir après leur journée de labeur sur un chantier voisin… ».

Les yeux fardés, Lluís Llach

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 19 Novembre 2016. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne

Les yeux fardés (Memòrias d’uns ulls pintats), octobre 2015, trad. catalan Serge Mestre, 314 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Lluís Llach Edition: Actes Sud

 

Même si vous n’êtes pas franchement « catalaniste », même si vous ne comprenez pas un traître mot de catalan, il n’est pas du tout impossible que le nom de Lluís Llach ne vous soit pas inconnu. Le chanteur fut en effet un haut symbole de la résistance à la dictature franquiste qui nourrissait une adversité particulièrement rancunière à l’égard de la Catalogne, de son histoire, de sa capitale et de sa langue.

Depuis quelques années, le chanteur, auteur et compositeur, a laissé la chanson de côté et a choisi de poursuivre son engagement artistique dans le champ de la littérature. Paru en Espagne en 2012, son premier roman, Les yeux fardés, nous parvient aujourd’hui dans une traduction de Serge Mestre. Un roman dont on aurait pu craindre qu’il soit un « coup éditorial » reposant sur la notoriété de son auteur. Mais non, il s’agit là d’un premier roman qui confirme un talent qui n’a pas grand-chose à envier à d’autres.

Le Bonheur, Emmanuel Darley

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 31 Octobre 2016. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Le Bonheur, 135 pages, 18 € . Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud

 

 

« Un jour je partirai, un jour, j’irai là-bas »

Le Bonheur est l’ultime roman d’Emmanuel Darley. Est-ce d’ailleurs un roman ? E. Darley a toujours affirmé que ses textes se situaient à la marge des genres littéraires. Il n’y a pas de personnages définis ici, de géographies déterminées, de trajectoires de vie complètes : tout est fragmenté, comme ces vies en pièces que le lecteur croise. Il adopte d’ailleurs une écriture faite de ruptures, de blancs et de blocs. Les hommes et les femmes qui apparaissent et disparaissent ne sont que des « ombres » (p.98). Ils sont ceux qui suivent les chemins vers « le pays bonheur », qui un jour vont partir. Eux qui aujourd’hui sont dans nos journaux, sur nos écrans, « les migrants, les réfugiés », les clandestins et les naufragés, eux dont parle Maylis de Kerangal, sept ans après E. Darley, dans un court texte : A ce stade de la nuit.