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Une constellation de phénomènes vitaux, Anthony Marra

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 02 Octobre 2014. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Jean-Claude Lattès

Une constellation de phénomènes vitaux (A constellation of vital phenomena). Traduction de l'américain Dominique Defert Août 2014. 444 p. 22 € . Ecrivain(s): Anthony Marra Edition: Jean-Claude Lattès

 

Dans le fatras de rentrée, d’une qualité très inégale, il y a des trésors inattendus. Ce livre en est assurément un des plus beaux. Roman au grand souffle, qui rappelle les sagas célèbres, « Une constellation de phénomènes vitaux » captive et fascine, bien après sa lecture encore. La vie, l’amitié, la mort, la lâcheté, l’ignominie, l’amour en temps de guerre. On a connu aux USA, en Russie, en Espagne à travers la littérature. La Tchétchénie manquait et ce livre élève une ode à ce pays martyr – ne finissant jamais le cercle infernal d’une guerre à l’autre.

Quelle virtuosité dans ce roman ! L’histoire des quelques personnages se passe sur un jeu en abymes de temporalité. La narration première s’étend sur 5 journées d’Akhmed, Sonja, Havaa, et quelques autres – perdus dans les couloirs de l’hôpital N°6, sorte de navire fantôme abandonné de la plupart de ses occupants (il reste 3 membres du personnel sur plusieurs centaines !), sauf les blessés qui affluent en permanence, estropiés, explosés, déchiquetés. Sonja est la seule médecin compétente dans ce radeau de la Méduse, amputant, cousant, courant. L’hôpital N°6 comme métaphore d’un pays, d’un monde qui disparaît, s’efface, ne subsiste plus que par le souvenir de ses habitants.

Toute la Terre qui nous possède, Rick Bass

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Septembre 2014. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Christian Bourgois

Toute la Terre qui nous possède (All the Land to hold us). Traduction de l’américain Aurélie Tronchet. août 2014, 441 p. 22 € . Ecrivain(s): Rick Bass Edition: Christian Bourgois


Toute la puissance de Rick Bass est concentrée en cette grande œuvre. Et il ne s’agit pas seulement de style – ou de l’écriture particulière du grand Rick. Il s’agit de la puissance qui coule au long des pages de ce roman et dont la source est la littérature américaine même, à laquelle Rick Bass se nourrit, se baigne, s’immerge tout entier. Des premiers écrits, ceux de la littérature coloniale du XVIIIème siècle déjà, les américains sont happés par l’espace, les espaces, ceux de la conquête jamais achevée, ceux des premiers colons, ceux des grandes plaines, des chaînes montagneuses, des fleuves immenses, des gorges vertigineuses. Happés par la Terre qui sera le ferment premier d’une littérature prodigieuse de force, de poésie, d’aventures.

Happés par la Terre renvoie au titre de ce roman, dont la version originale est « All the Land to hold us ». Aurélie Tronchet – l’excellente traductrice de ce livre – et probablement l’éditeur, ont choisi la traduction qui dit cela clairement : Toute la terre qui nous possède (nous tient, nous happe, nous capte). Une autre piste était possible et la lecture du roman la rend aussi séduisante : Toute la terre qui nous tient debout (droit, sur nos jambes).

Mourir de penser, Pascal Quignard

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 11 Septembre 2014. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Essais, Grasset

Mourir de penser (Dernier Royaume IX) 10 Septembre 2014. 222 p. 18 € . Ecrivain(s): Pascal Quignard Edition: Grasset

 

Pascal Quignard nous convoque à son neuvième rendez-vous du Dernier Royaume. Moment de recul, de réflexion, d’étrangeté dans le paysage littéraire – ô combien par les temps qui courent ! – moment de penser, de mourir un peu. Quignard tisse son œuvre, à l’écart des modes, à l’écart des courants, à l’écart du temps. Sa préoccupation n’est pas inscrite dans l’événement, elle est à jamais insérée dans la condition des humains, dans sa singularité irréductible.

Nous l’avons déjà écrit ici, l’entreprise de Pascal Quignard se situe dans une tradition antique, gréco-romaine : celle du monologue philosophique. Héraclite, Marc-Aurèle en sont deux belles figures tutélaires. Le grand autre de Quignard – si tant est qu’il en faille un – est Montaigne bien sûr dans cette manière unique de philosopher : en murmurant, à mi-voix, sans asséner de grandes vérités à son de trompe. Se regarder vivre au sein des frères humains et commenter au fil de la pensée. Il y a chez Quignard le phrasé, la structure de pensée de Montaigne. Et il y a aussi ses vertus personnelles : modestie, obsession de la vérité, amour de la culture antique et universelle.

La vie amoureuse de Nathaniel p., Adelle Waldman

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 04 Septembre 2014. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Christian Bourgois

La vie amoureuse de Nathaniel p. (The love affairs of Nathaniel p.) août 2014. Traduction Anne Rabinovitch. 331 p. 19 € . Ecrivain(s): Adelle Waldman Edition: Christian Bourgois

 

Si on vous dit que ce roman a pour héros un intello-Bobo new yorkais, écrivain journaliste de son état, ne fréquentant que des gens de préférence beaux, jeunes, riches et intelligents, et qu’il raconte ses aventures amoureuses compliquées entre Elisa, Hannah, Greer et quelques autres, vous avez de quoi vous inquiéter sur l’intérêt du roman. Et pourtant, ce voyage de quelques mois sur les sentes affectives de Nathaniel p. est passionnant ! On ne s’en rend pas forcément compte tout de suite mais après quelques dizaines de pages on tombe sous l’influence addictive de l’art narratif d’Adelle Waldman.

Qu’elles soient affectives ou sexuelles n’y fait rien : les vents et marées de l’aventure amoureuse restent des vents et marées, avec ce que ça implique de dangers, d’accalmies, de tempêtes, de risques de noyade. Et Nate (c’est son petit nom) affronte ces déferlements avec ce qu’il faut de cynisme et d’engagement, de distance et de fragilité, selon les jours, les femmes, les humeurs. Souvent avec mépris aussi.

L’été des Noyés, John Burnside (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 28 Août 2014. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Métailié

L’été des Noyés (A summer of drowning). Août 2014. Traduit de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. 320 p. 20 € . Ecrivain(s): John Burnside Edition: Métailié

 

Un roman de Burnside est toujours un moment d’éternité. Il n’y est pas de frontière spatiale, ni temporelle. Il n’y est pas de frontière non plus entre la réalité et le monde des chimères. Tout est suspendu dans l’air, incertain, improbable, oscillant, inquiétant. « Scintillation », son dernier opus avant celui-ci, nous avait déjà emmenés dans cet univers insécuritaire, menaçant, sans que l’on sache d’où, de qui, vient la menace. On ne sait même pas s’il y a vraiment menace. Un roman de Burnside dérange, questionne, ne répond pas, ne rassure jamais.

« L’été des noyés » emprunte – un peu – au roman noir : des jeunes gens disparaissent. Thème obsessionnel chez Burnside puisque dans « Scintillation » des enfants déjà disparaissaient. Mais il y a aussi du roman d’horreur : démons et forces du Mal sont à l’œuvre. Kyrre Opdahl, le vieux pêcheur en a convaincu la jeune Liv : Trolls, sirènes et par-dessus tout la Huldra – séduisante et terrible maîtresse du monde des Ténèbres – sont plus réels que ce qui semble être le réel. Le cadre de la Norvège septentrionale offre un écrin parfait aux fantasmagories les plus effrayantes : Lumière blanche et crue après l’interminable obscurité hivernale. Et dans l’entre-deux une période terrible d’entre-deux justement, où l’on perd le sens même de l’être.