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Plateau, Franck Bouysse

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Février 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, La Manufacture de livres

Plateau, janvier 2016, 301 pages, 18,90 € . Ecrivain(s): Franck Bouysse Edition: La Manufacture de livres

La Cause Littéraire avait aimé Vagabond, adoré Grossir le ciel de Franck Bouysse. Néanmoins, Plateau marque un basculement dans l’œuvre en construction de cet auteur. Franck Bouysse atteint ici une maturité, une puissance, une économie d’écriture qui en font désormais un des tout meilleurs écrivains français.

Si le cadre de son roman n’a pas vraiment changé, on est en Corrèze sur le plateau de Millevaches, il perd désormais sa fonction de décor pour devenir un personnage à part entière, écho tellurique permanent à la solitude et la douleur de vivre des personnages, nourrissant leur détresse, distillant à coups de ciels noirs, de vents mauvais, de pluies agressives, l’infini malheur de vivre des quelques êtres désespérés qui peuplent cette histoire. Le Plateau est vivant, déroutant, mais il porte la mort en lui – éventuellement sous la forme incarnée d’un mystérieux Chasseur rôdant dans les bois, élément même des forces en œuvre dans cette partie du monde.

« Il est une ombre sur le Plateau, un germe sous un tégument, un murmure porté par le vent qui courbe à peine l’échine des herbes.

Imago prêt à toutes les mues ».

Le Livre d’Aron, Jim Shepard

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 11 Février 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Roman, USA

Le Livre d’Aron (The Book of Aron), février 2016, trad. américain Madeleine Nasalik, 231 pages, 21 € . Ecrivain(s): Jim Shepard Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Comment peut-on raconter une sorte de « Guerre des Boutons » dans le cadre effroyable du Ghetto de Varsovie en 1943 ? Il faut soit écrire un chef-d’œuvre, soit rien. Jim Shepard a choisi le chef-d’œuvre. En sertissant l’histoire d’Aron et de ses copains et copines dans les rues dévastées et sinistres d’un parc à bétail pour Juifs, l’auteur taille un joyau au cœur de l’horreur.

La bande d’enfants ne « joue » pas vraiment. Leurs aventures quotidiennes visent à trouver la pitance, les couvertures, les casseroles qui manquent de plus en plus à la maison. Mais comme ce sont des enfants, ils en font un terrain de jeux. Ils creusent des trous, font des passages dans les palissades, évitent – autant que possible – les soldats nazis et les collabos polonais. Ils passent de « l’autre côté », celui des non-juifs, plus libres et mieux nantis, pour y gratter ce qu’ils peuvent et le rapporter. A ceux qui souffrent, à ceux qui se meurent, du typhus, de la tuberculose, de la faim, des assassinats réguliers des nazis et des miliciens.

Le divin Chesterton, François Rivière

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 04 Février 2016. , dans La Une Livres, Rivages, Les Livres, Critiques, Biographie

Le divin Chesterton, avril 2015, 216 pages, 21 € . Ecrivain(s): François Rivière Edition: Rivages

 

Cette biographie est un authentique roman. Impossible de faire autrement avec Chesterton, c’est un personnage de roman, haut en couleurs, tonitruant, falstafien. Il va secouer la très rigide littérature anglaise édouardienne de ses coups de gueule, ses prises de position littéraires à contre-courant de toutes les modes de son temps. Au point d’en être souvent agaçant, pour ses amis, ses collaborateurs, et nous, les lecteurs de cette superbe biographie.

Chesterton est un réactionnaire absolu et, ce qui en fait l’originalité, c’est que cette passion rétrograde et passéiste au plan de l’idéologie, en fait étrangement un créateur original, jamais dans la norme, toujours étonnant, inventif, scandaleux. On le surnommait le « Divin Chesterton », expression sortie d’une remarque de Franz Kafka, grand lecteur de Chesterton, qui avait dit à son propos : « Cet homme est tellement joyeux qu’on se dit qu’il a dû rencontrer Dieu ». On aurait pu tout aussi bien le surnommer « l’infernal Chesterton ».

Animots, Jean-Jacques Marimbert

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 26 Janvier 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Carnets du dessert de lune

Animots, décembre 2015, Illustrations Etienne Lodého, 103 pages, 15 € . Ecrivain(s): Jean-Jacques Marimbert Edition: Carnets du dessert de lune

Avec un titre pareil, on pouvait s’y attendre : l’ombre tutélaire de Francis Ponge traverse et retraverse souvent ce recueil. Les « animots » sont ici calés entre leur réalité organique, ou imaginaire, ou poétique, et les mots pour le dire. Plus exactement chez Marimbert, pour le pétrir. La langue – Lacan nous conseillerait ici d’écrire lalangue tant il s’agit chez Marimbert d’un véritable organe – est la matière première de cette écriture, toute entière tournée vers la musicalité. Assonances, allitérations sont la structure même du poème, dominant le sens, se contentant de l’évoquer, avec la puissance d’une évocation. Il nous faut entendre les ou/u/o de « la chouette » :

Dormir enfin dormir

Paupières ourlets de peau

Fripée rose non jaune

Noire de charbon

Mais dormir ne plus

Penser à quoi que ce soit

Sinatra Confidential, Shawn Levy

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 21 Janvier 2016. , dans La Une Livres, Rivages, Les Livres, Critiques, Biographie, USA

Sinatra Confidential, novembre 2015, trad. anglais Nicolas Guichard, 368 pages, 22 € . Ecrivain(s): Shawn Levy Edition: Rivages

 

Si on a en tête la magnifique biographie de Dean Martin par Nick Tosches (*1), on ne peut qu’être dérouté par ce livre. On est loin du récit haletant, lyrique, passionné de Dino. Mais le titre Sinatra Confidential fait plutôt référence à James Ellroy et son L.A. Confidential. Et là, le livre tient la route. On retrouve en effet chez Shawn Levy la volonté de dessiner une époque à travers la carrière de Frank Sinatra. Ou plutôt, car c’est plus de cela qu’il s’agit, à travers l’histoire du « Rat Pack » (C’est d’ailleurs le titre original : « Rat Pack Confidential »).

Qu’est-ce donc que le « Rat Pack » – pour ceux qui ne le sauraient déjà – ? : Un jour, voyant les gars de la bande de Sinatra assis au premier rang du bar d’un casino, Lauren Bacall a grommelé : « Vous ressemblez à un foutu Rat Pack (*2). Ils se sont tous marrés ». Le terme est resté et ils l’ont rendu célèbre. Au début il y avait Bogart, mais le « Pack » qui a duré longtemps et écumé tous les casinos, salles de concert et restaurants de Las Vegas à la Côte Ouest, était composé de Sinatra, Dean Martin, Sammy Davis Jr, Peter Lawford et Joey Bishop.