Des vies à écrire, David Lodge
Des vies à écrire (Lives in writing). Traduit de l’anglais par Martine Aubert. Octobre 2014. 245 p. 21 €
Ecrivain(s): David Lodge Edition: Rivages
On savait la passion de David Lodge pour l’art de la biographie. Dans ses dernières publications on compte deux énormes volumes sur Henry James (Author ! Author ! …) et sur H.G. Wells (Un homme de tempérament)*. C’est de cette passion, et de quelques écrivains (et un cinéaste !) qu’il est question dans ce recueil. Car il s’agit d’un recueil de relativement courts articles biographiques.
Biographiques ? Tout est toujours plus complexe avec Lodge : on est en abyme car la plupart de ces articles – biographiques – portent sur des personnes mais à travers le prisme d’une biographie écrite par quelqu’un d’autre que Lodge. Il parle d’écrivains en s’appuyant sur une bio connue de ces écrivains. Compliqué ? Point du tout. Le talent de David Lodge est de se glisser brillamment dans l’entre-deux et de faire valoir sa lumière, son regard, sur des personnages qu’il aime. Un des secrets de David Lodge, peut-être le plus éminent, l’empathie ou, plus encore, l’amour qu’il porte aux écrivains dont il parle. C’est là d’ailleurs un trait que l’on peut sans dommage pousser à la généralité : peut-on imaginer un biographe qui se pencherait sur une personne qu’il n’aime pas ?
Un mot sur ce titre « Des vies à écrire ». Le titre original (Lives in writing) est sans ambiguïté : des vies vouées à l’écriture. Mais le français la joue plus complexe : des vies vouées à écrire mais aussi des vies qu’il faut écrire. Et cette ambiguïté est des plus pertinentes quand on sait que c’est le carrefour même des passions de Lodge : écrire et écrire sur ceux qui écrivent !
Et Lodge d’égrener quelques clés essentielles à l’univers des écrivains ici abordés.
A propos de Graham Greene par exemple (Graham Greene les dernières années) il lève un voile sur l’éternel stéréotype de la religion :
« Pour le monde en général, toutefois, il demeurait le grand romancier catholique (en dépit de son insistance opiniâtre à clamer qu’il était un romancier qui se trouvait être catholique) : le fait que divers coreligionnaires dévots souvent perturbés, parmi lesquels des prêtres, le harcelèrent et le sollicitèrent tel un guide spirituel, était une ironie qui lui causait bien de l’embarras. « Je me sentais utilisé et épuisé par les victimes de la religion… » se plaignit-il plus tard. »
Ainsi avec Kingsley Amis (grand écrivain anglais et père de Martin Amis) à propos de ses embarras avec la mort et de son humour légendaire :
« Tous les trucs de ce genre, mourir et tout le reste, étaient encore loin, pas aussi loin qu’autrefois, d’accord, et le moment où ils ne seraient pas si loin que ça n’était évidemment pas aussi loin que ça, mais bon. Bon quoi ? »
Muriel Spark, John Boorman (oui, le metteur en scène de « Délivrance »), Simon Gray, le grand Anthony Trollope et quelques autres font ainsi matière à la trame de lecture de Lodge. Pour nos délices et pour notre intelligence.
David Lodge a assis ses certitudes de biographe sur un axiome : la vie réelle est la seule et incontestable source nourricière de l’imagination et de la créativité des écrivains (des artistes). Donc, point de rupture entre une vie et une œuvre, seulement une perméabilité permanente, une dialectique subtile et néanmoins totale, même si elle n’est pas affichée de manière flagrante. Dans « Un Homme de Tempérament », il détricote avec minutie la trame de ce lien Vie/Œuvre chez H.G. Wells. A propos d’une pièce de théâtre d’Alan Bennett :
« … La pièce prit son envol, et devint une sorte de parabole sur la manière dont les écrivains transforment la vie en art. »
Promenade spirituelle chez des écrivains que nous aimons, ou découverte d’écrivains pour nous inconnus, ce livre est un plaisir de l’intelligence, comme toujours avec David Lodge.
Leon-Marc Levy
* : Lire la critique de ce livre ici
VL2
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