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Roman

Nuit persane, Maxime Abolgassemi

Ecrit par Fanny Guyomard , le Lundi, 13 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Nuit persane, éd. Erick Bonnier, août 2017, 470 pages, 22 € . Ecrivain(s): Maxime Abolgassemi

 

Ombre et lumière. Deux mots qui pourraient résumer la tension au cœur de Nuit persane, kaléidoscope d’une période historique énigmatique et fascinante. Deux mots qui permettent aussi d’écarter le manichéisme, alors même que nous aimerions entièrement prendre parti pour les révolutionnaires iraniens. Deux mots qui font écho au titre, presque oxymorique dans notre imaginaire orientaliste qui apparente le Persan à l’éclat. Tout le roman balance en effet entre le jour et la nuit, entre action solaire et moments de méditation secrets, entre instants de lucidité et zones de brouillard insondable.

L’ombre du regard sévère de Leyli, le magnifique personnage principal féminin qui est aussi la lumière guidant Mathieu, le jeune Français et narrateur douloureux de son histoire. Ariane menant Thésée dans les dédales du Bâzâr, ou Aricie éclairant Hippolyte sur son amour. Cette Aricie qui est l’esclave d’un père attaché aux normes traditionnelles, que le couple amoureux ne parvient pas à fuir. Personnage omniprésent, même dans son absence, comme l’éclairent les vers que relève l’auteur : « Dans le fond des forêts votre image me suit ; La lumière du jour, les ombres de la nuit ».

Paris-Austerlitz, Rafael Chirbes

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Rivages

Paris-Austerlitz, octobre 2017, trad. espagnol Denise Laroutis, 180 pages, 20 € . Ecrivain(s): Rafael Chirbes Edition: Rivages

 

L’écriture a quelque chose du supplice de Tantale.

Rafael Chirbes (Télérama, 2009)

 

L’espace diégétique est résumé en une phrase : « Paris, c’est comme ça, chacun pour soi », l’explication franche de la pyramide des inégalités sociales au sommet de laquelle, bien logés, pleins de ratiocinations, les nantis se pavanent, écrasant en bas « des poches de misère ». Les échos de la capitale résonnent, souffrances comparables à celles que subit l’homme solitaire et étranger dans l’appartement du Locataire filmé par Polanski. Le « je », l’instance énonciatrice, parle à l’imparfait. Les lieux sont glauques, l’ambiance pessimiste, des ombres perdues rencontrent d’autres ombres fantomatiques. Les attitudes restent codées entre « le mec qui parlait une langue apprise au lycée français de Madrid (…), le groupe des petits caïds (…) l’indic de la police et le journaliste ».

L’instant décisif, Pablo Martín Sánchez

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Récits, La Contre Allée

L’instant décisif, septembre 2017 (Tuyo es el mañana, 2016, Acantilado), trad. espagnol Jean-Marie Saint-Lu, 288 pages, 20 € . Ecrivain(s): Pablo Martín Sánchez Edition: La Contre Allée

Un récit, ou six récits qui commencent à 0 heure et s’achèvent à minuit. Ou plutôt, peut-être, six récits qui commencent à 0 heure, et finalement un récit qui se termine à minuit. Donc sept récits au final. Vous suivez ? Dire cela c’est peut-être livrer une des clés de cet instant décisif qui jongle avec les voix dans un cadre temporel strict de 24 heures. Jeu de construction et de structure qui pourrait paraître un brin intello mais qui est surtout ludique et qui fonctionne parfaitement comme tel.

Reprenons : six récits et six personnages. Ou sept selon comment l’on compte. Disons six plus un. Nous entrons dans leur vie à 0 heure. Quand ? Le jour où il y aura une grève générale en Italie, qui est aussi celui où le président congolais Marien Ngouabi sera assassiné. Le jour aussi où le nouvel état espagnol annoncera une nouvelle amnistie. Un jour et une date que l’auteur ne précise pas plus mais que nous pouvons reconstituer comme étant le 18 mars 1977. Nous sommes à Barcelone en pleine « transition démocratique », dans ce moment où la mort de Franco n’a pas encore complètement signifié la fin de la dictature et le retour de la démocratie. C’est aussi ce jour-là que naît Pablo. Le même jour que l’auteur de cet instant décisif. Mais il n’est pas sûr, il semble même un peu improbable qu’il s’agisse vraiment de lui-même et que le récit soit autobiographique.

Jonathan Strange & Mr Norrell, Susanna Clarke

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Le Livre de Poche

Jonathan Strange & Mr Norrell, trad. anglais Isabelle D. Philippe, 1149 pages, 10,20 € . Ecrivain(s): Susanna Clarke Edition: Le Livre de Poche

 

Adapté en mini-série par l’honorable BBC, multi-primé l’année de sa parution (2004), repris depuis parmi de fiables listes des meilleurs romans de science-fiction jamais publiés, Jonathan Strange & Mr Norrell, le premier roman de l’Anglaise Susanna Clarke (1959), ne peut qu’éveiller la curiosité du lecteur amateur de prose intelligente à destination populaire. Et le moins qu’on puisse dire est que l’amateur est servi, gâté, enchanté, n’en jetez plus, on a affaire à un véritable chef-d’œuvre, toutes catégories littéraires confondues, un diamant dont chaque facette a été finement taillée et qui n’en finit pas de scintiller dans l’esprit du lecteur émerveillé.

Se déroulant de l’automne 1806 au printemps 1817, Jonathan Strange & Mr Norrell se présente comme une uchronie, une histoire alternative de l’Angleterre où la magie est un fait acquis – à ceci près qu’elle a plus ou moins disparu en ce début du XIXe siècle. Elle n’est plus qu’un objet d’études pour des magiciens qui sont en fait des historiens, à l’image de ceux qui, « dans la bonne ville d’York », se « réunissaient le troisième mercredi du mois et échangeaient de longues et ennuyeuses communications sur l’histoire de la magie anglaise ».

Bakhita, Véronique Olmi

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 09 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Albin Michel

Bakhita, août 2017, 455 pages, 22,90 € . Ecrivain(s): Véronique Olmi Edition: Albin Michel

 

Dis Madre Moretta, comment on appelle ça aujourd’hui ?

Véronique Olmi… le nom flamboie haut, en grandes lettres blanches sur la couverture du livre, effaçant d’autant celui de la femme qui en est la véritable protagoniste, Bakhita, comme si ironiquement la littérature rejouait à cette femme, née à la fin du XIX° siècle, le mauvais tour d’être à nouveau un objet de marketing, cette fois-ci éditorial, tout comme elle le fut, d’une autre manière, en Afrique pour les négriers et plus tard, en Italie dans les années pré-mussoliniennes, pour l’Église quand « il fallait relever le prestige de l’institut (religieux canossien et récolter des fonds) en promenant Madre Giuseppina dans toute l’Italie », avant de serrer la pogne au futur dictateur et enfin, d’être déclarée sainte par le pape Jean-Paul II en octobre 2000.

Douleur, douceur… ainsi pourrait se résumer l’itinéraire monstrueux de la Moretta, la noiraude. Pour passer de l’une à l’autre, il suffit d’un rien, d’une inattention lexicale. Non pas la plus évidente et stoïque qui consiste à substituer une lettre par une autre, mais celle que l’insouciance heureuse, qu’elle soit d’enfance ou d’un instant fugitif d’un bonheur simple, provoque à son insu. Le regard étonné qui se détourne, le rire qui efface la prudence, la vigilance qui s’échappe et la douleur se substitue à la douceur. Arrive alors l’impensable.