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Roman

Les corps brisés, Elsa Marpeau

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 08 Septembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Série Noire (Gallimard)

Les corps brisés, mai 2017, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Elsa Marpeau Edition: Série Noire (Gallimard)

 

C’est un roman au ton incisif, nerveux à l’image de l’héroïne Sarah, ancienne coureuse automobile qui, au faîte de sa carrière, subit un grave accident au cours d’un rallye et devient paraplégique. Bloquée dans son élan de vie, dans son dynamisme et son parcours professionnel, Sarah est hospitalisée à « L’Herbe bleue », un centre de rééducation isolé en haute montagne et dirigé par Virgile Debonneuil, surnommé le « docteur Lune ». Celui-ci est entouré de son équipe – infirmière, psychologue, aide-soignant, kinésithérapeute, facilitateur de réinsertion professionnelle, etc. Le rendez-vous des « corps brisés » est ici programmé, accepté, scénographié. On pense au sanatorium de Davos si bien décrit par Thomas Mann dans La Montagne magique, dont un extrait figure en exergue : « Il y a deux routes qui mènent à la vie. L’une est la route ordinaire, directe et honnête. L’autre est dangereuse, elle prend le chemin de la mort, et c’est la route géniale ». Nous sommes ici, clairement, dans un roman de survie, de survivance. Qu’il soit inspiré de faits réels importe finalement assez peu car c’est l’intériorité du personnage blessé qui est ici retransmise et donne sa coloration au roman : le monde de la performance est brutalement confronté à l’anormalité, au handicap, à la différence, sans concession. Et le déni fait place, peu à peu, par des voies détournées, à l’acceptation.

Glaise, Franck Bouysse

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 07 Septembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La rentrée littéraire, La Manufacture de livres

Glaise, septembre 2017, 425 p. 20,90 € . Ecrivain(s): Franck Bouysse Edition: La Manufacture de livres

 

 

Franck Bouysse creuse son sillon. Ici dans la glaise bien sûr. Indifférent aux modes, à l’air du temps, il construit une œuvre grave et profonde. S’il peut se réclamer de prestigieuses influences, il le fait avec un talent littéraire si enlevé qu’il sait les tenir à distance pour en tirer son miel. Ainsi, la couleur toute gionesque et/ou faulknérienne de ce roman, se déploie avec les marques spécifiques de l’auteur, celles qu’on a déjà senties dans Grossir le ciel et dans Plateau : une âpreté terrible, parfois au bord de l’insoutenable, un lyrisme emporté, presque religieux, une émotion brûlante, toujours prête à casser. Et le rapport organique, charnel aux choses de la nature. Bouysse brise en mille éclats la nature des romantiques : ici, elle n’aide pas, elle n’accompagne pas, elle n’écoute pas. Même sa beauté – chantée dans ce roman en sublimes tableaux – se révèle vénéneuse, source de solitude, de « labeur dur et forcé » (Baudelaire), de douleur écrasante.

Monarques, Philippe Rahmy

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 07 Septembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La rentrée littéraire, La Table Ronde

Monarques, août 2017, 208 pages, 17 € . Ecrivain(s): Philippe Rahmy Edition: La Table Ronde

 

Tissant plusieurs histoires réelles, celle de l’assassin d’un diplomate allemand en 1938, la sienne, celle de ses parents, Philippe Rahmy propose, après les excellents Mouvement par la fin (Cheyne, 2005) et Allegra (La Table Ronde, 2016), un livre inclassable, qui joue autant de la force de la réalité que de celle de l’écriture rassembleuse qui permet de confronter diverses époques (les années 10, les années 30, les années 80 et les années 2014-2016) pour en tirer une sorte de généalogie multiple des siens et des autres, et une lecture neuve des relations entre Juifs, Arabes, Allemands, Français. De qui procède-t-on ? Quel est l’impact du passé de nos proches et d’étrangers, parfois bien similaire ? Et pourquoi, surtout, l’écrire ?

Monarques, titre étrange, qui s’éclairera au chapitre 3, semble, au-delà de l’anecdote animale, plaider pour le thème du voyage qui innerve tout l’ouvrage. De fait, Monarques nous fait beaucoup voyager : de Berlin à l’Egypte, en passant par Paris, l’Amérique, Tel-Aviv, sans oublier la région natale de notre auteur, en Suisse.

Tiens ferme ta couronne, Yannick Haenel

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 06 Septembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard, La rentrée littéraire

Tiens ferme ta couronne, août 2017, 352 pages, 20 € . Ecrivain(s): Yannick Haenel Edition: Gallimard

 

« Cette population de pensées est un monde, et même les livres écrits et publiés par Melville ne suffisent pas à donner une idée de l’immensité qui peuple la tête d’un écrivain comme lui. D’ailleurs, il y a une phrase de Moby Dick qui évoque ce débordement : à propos du cachalot, elle évoque l’intérieur mystiquement alvéolé de sa tête. Eh bien, c’est précisément de cela que traitait mon scénario : l’intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville ».

Il se peut qu’un grand livre soit écrit sous une divine protection marine, il se peut qu’un grand écrivain soit béni des fées. Il se peut que ce livre ait pour nom Tiens ferme ta couronne, et tout porte à croire que cet écrivain se nomme Yannick Haenel. Il se peut que ce roman, majestueusement cinématographique, soit saisi par les images et l’art secret de la mise en scène d’un cinéaste américain qui a filmé le cœur mystique de son pays, ses fureurs, ses cris et ses mensonges. Il se peut que ce livre majeur soit nourri du silence de l’aube, de petits éclats bleus, de visions et de noms.

L’homme qui savait la langue des serpents, Andrus Kivirähk (2ème critique)

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 06 Septembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Le Tripode

L’homme qui savait la langue des serpents, 2015 et 2017 (poche), (Mees, kes teadis ussisõnu), trad. estonien Jean-Pierre Minaudier, 470 pages, 13,90 € (en poche) . Ecrivain(s): Andrus Kivirähk Edition: Le Tripode

 

Voilà de trop long mois que je différais la rencontre avec L’Homme qui savait la langue des serpents. Que de temps perdu ! Quel monde ! Quelle découverte !

Puis l’on réalise après le voyage d’une telle lecture que deux autres titres traduits nous attendent chez le même éditeur (Les Groseilles de novembre et Le Papillon). Puis encore que l’auteur a publié en Estonie près d’une quarantaine de titres depuis 1995… Bref tout un monde à découvrir.

Le monde dans lequel nous plongeons est un monde médiéval réinventé, où le fantastique et le merveilleux ne sont pas loin bien que menacés d’oubli par un monde qui évolue inexorablement vers un soi-disant progrès. Le narrateur, c’est l’homme qui savait la langue des serpents, un langage que tous ces ancêtres qui vivaient dans la forêt connaissaient parfaitement. Un langage puissant auquel obéissaient les animaux de la forêt et dans lequel il y avait de la magie, mais pas de tromperie.