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Roman

Jamais, Véronique Bergen

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 15 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Tinbad

Jamais, novembre 2017, 126 pages, 16 € . Ecrivain(s): Véronique Bergen Edition: Tinbad

 

Paradoxalement là où la voix se ferme et s’éteint, Véronique Bergen ouvre des possibles. Ecrivant ce récit, l’auteur est pris par quelque chose qui vient du plus profond, du plus fort, et qui ramène à la sidération, de déprise et en reprise, dans le mouvement de l’écriture. Ici la voix de la mère juive exilée et débordée par les remugles de l’Histoire s’excède dans un mouvement autant jouissif que colérique. Bref la figure maternelle se débonde sans que pour autant le récit ne capote dans l’autofiction.

Le roman parcourt une seule heure de la vie d’une femme : le temps que la mère puisse énoncer ce qu’elle ne peut pas dire, sinon par les mots de l’autre : sa fille qui en filigrane lui impose la rectitude de sa texture lexicale. Mais s’opère une sorte de renversement entre les mots de la mère et le contrôle qu’exerce l’écrivaine sur eux.

Un élément perturbateur, Olivier Chantraine

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 14 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Un élément perturbateur, août 2017, 288 pages, 20 € . Ecrivain(s): Olivier Chantraine Edition: Gallimard

 

On finit par s’attacher à ce personnage, ce Serge Horowitz qui à 44 ans vit toujours chez sa sœur Anièce, elle aussi célibataire et qui semble vouée à demeurer pour lui et ce, sans qu’il ne se questionne à ce sujet, une mère de substitution. Serge Horowitz, hypocondriaque, a le goût des vitamines et de la prévention en matière de santé, la pharmacie est un son jardin d’Éden :

« À condition d’être capable d’écouter un minimum son corps, n’importe quelle personne a priori bien portante est à même de ressortir de là rassurée, un léger sourire aux lèvres, une babiole nichée au creux d’un sachet en papier orné d’un fascinant logo de serpent buvant dans une coupe ».

Et il n’imagine rien de meilleur que la simplicité et la facilité de son train-train quotidien, sans se risquer plus avec le monde extérieur et les relations humaines, que le minimum obligé. Et ce minimum obligé passe par le fait d’avoir un travail.

Serge a un autre frère, François, et c’est grâce à ce frère, Ministre des Finances aux dents longues, qu’il a un emploi sans avoir besoin de s’engager, de s’impliquer plus que ça. Ça tombe bien parce qu’en vérité Serge le trouve détestable et ennuyeux ce travail, même s’il est capable d’être un bon analyste, trop bon justement.

Nuit persane, Maxime Abolgassemi

Ecrit par Fanny Guyomard , le Lundi, 13 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Nuit persane, éd. Erick Bonnier, août 2017, 470 pages, 22 € . Ecrivain(s): Maxime Abolgassemi

 

Ombre et lumière. Deux mots qui pourraient résumer la tension au cœur de Nuit persane, kaléidoscope d’une période historique énigmatique et fascinante. Deux mots qui permettent aussi d’écarter le manichéisme, alors même que nous aimerions entièrement prendre parti pour les révolutionnaires iraniens. Deux mots qui font écho au titre, presque oxymorique dans notre imaginaire orientaliste qui apparente le Persan à l’éclat. Tout le roman balance en effet entre le jour et la nuit, entre action solaire et moments de méditation secrets, entre instants de lucidité et zones de brouillard insondable.

L’ombre du regard sévère de Leyli, le magnifique personnage principal féminin qui est aussi la lumière guidant Mathieu, le jeune Français et narrateur douloureux de son histoire. Ariane menant Thésée dans les dédales du Bâzâr, ou Aricie éclairant Hippolyte sur son amour. Cette Aricie qui est l’esclave d’un père attaché aux normes traditionnelles, que le couple amoureux ne parvient pas à fuir. Personnage omniprésent, même dans son absence, comme l’éclairent les vers que relève l’auteur : « Dans le fond des forêts votre image me suit ; La lumière du jour, les ombres de la nuit ».

Paris-Austerlitz, Rafael Chirbes

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Rivages

Paris-Austerlitz, octobre 2017, trad. espagnol Denise Laroutis, 180 pages, 20 € . Ecrivain(s): Rafael Chirbes Edition: Rivages

 

L’écriture a quelque chose du supplice de Tantale.

Rafael Chirbes (Télérama, 2009)

 

L’espace diégétique est résumé en une phrase : « Paris, c’est comme ça, chacun pour soi », l’explication franche de la pyramide des inégalités sociales au sommet de laquelle, bien logés, pleins de ratiocinations, les nantis se pavanent, écrasant en bas « des poches de misère ». Les échos de la capitale résonnent, souffrances comparables à celles que subit l’homme solitaire et étranger dans l’appartement du Locataire filmé par Polanski. Le « je », l’instance énonciatrice, parle à l’imparfait. Les lieux sont glauques, l’ambiance pessimiste, des ombres perdues rencontrent d’autres ombres fantomatiques. Les attitudes restent codées entre « le mec qui parlait une langue apprise au lycée français de Madrid (…), le groupe des petits caïds (…) l’indic de la police et le journaliste ».

L’instant décisif, Pablo Martín Sánchez

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Récits, La Contre Allée

L’instant décisif, septembre 2017 (Tuyo es el mañana, 2016, Acantilado), trad. espagnol Jean-Marie Saint-Lu, 288 pages, 20 € . Ecrivain(s): Pablo Martín Sánchez Edition: La Contre Allée

Un récit, ou six récits qui commencent à 0 heure et s’achèvent à minuit. Ou plutôt, peut-être, six récits qui commencent à 0 heure, et finalement un récit qui se termine à minuit. Donc sept récits au final. Vous suivez ? Dire cela c’est peut-être livrer une des clés de cet instant décisif qui jongle avec les voix dans un cadre temporel strict de 24 heures. Jeu de construction et de structure qui pourrait paraître un brin intello mais qui est surtout ludique et qui fonctionne parfaitement comme tel.

Reprenons : six récits et six personnages. Ou sept selon comment l’on compte. Disons six plus un. Nous entrons dans leur vie à 0 heure. Quand ? Le jour où il y aura une grève générale en Italie, qui est aussi celui où le président congolais Marien Ngouabi sera assassiné. Le jour aussi où le nouvel état espagnol annoncera une nouvelle amnistie. Un jour et une date que l’auteur ne précise pas plus mais que nous pouvons reconstituer comme étant le 18 mars 1977. Nous sommes à Barcelone en pleine « transition démocratique », dans ce moment où la mort de Franco n’a pas encore complètement signifié la fin de la dictature et le retour de la démocratie. C’est aussi ce jour-là que naît Pablo. Le même jour que l’auteur de cet instant décisif. Mais il n’est pas sûr, il semble même un peu improbable qu’il s’agisse vraiment de lui-même et que le récit soit autobiographique.