La mort en berne, Denis Emorine
La mort en berne, 5 Sens éditions, mars 2017, 133 pages, 12,60 €
Ecrivain(s): Denis Emorine
La mort a droit de vie sur nous et ferait, sans doute, l’objet d’une belle élocution. Cette conscience omniprésente de la mort augmente l’adrénaline de vie de ce roman largement autobiographique. Elle devient caresse dans la chevelure de l’aimée. Dominique Valarcher, le héros de cette narration en recherche d’affection motivée par une sorte d’exil à la « Stefan Zweig », rappelle, à bien des égards, « Louis », le personnage principal du grand romancier dans sa nouvelle Le Voyage dans le passé, avec ce sens aigu de l’exclusivité amoureuse et, quelque part, une certaine dose d’autosatisfaction admirative un peu narcissique :
« Ce soir-là, en quittant cette jeune fille qui le fascinait, Dominique s’était seulement fait cette réflexion : Je crois qu’elle m’aime puisqu’elle aime ce que j’écris. La mort en berne, l’étudiant avait marché longtemps dans les rues de la ville qu’il identifiait à son amour ».
L’écrivain, admiré d’une jeune étudiante en français, Nora, se joue à travers elle des incarnations, la littérature servant la cause d’une sorte « d’éternel retour » qu’accentue la nostalgie d’une disparue évoquée à travers cette impression « d’exil » habité quelquefois par les protagonistes dans les romans des pays de l’Est.
L’écrivain se construit ici sur un amour unique, voire exclusif où l’autre existe essentiellement à travers lui comme l’admirent son éditeur ou l’étudiante en lettres, les rôles étant d’ailleurs parfois inversés, l’éditeur sollicitant ici le personnage écrivain et non l’inverse, malgré six années passées à ne pas écrire de roman. On devine ici l’intention de l’auteur d’expliquer ce qui peut susciter la motivation, l’inspiration. Un livre d’écriture sur comment la faire accoucher et en même temps soigner ses traumas.
Valarcher, en quête d’identité brisée, rencontrera Nora à la jeunesse admirative qui, quelque part, le dévie d’obsessions morbides : « Sa beauté le subjugua. Il ne la quittait plus des yeux. Nora rougit un peu et détourna les siens. Tout à coup, Dominique pensa qu’il aurait aimé mourir sur cette place, loin de chez lui ».
L’atavisme slave imprégnerait ainsi donc l’œuvre de ce héros attachant en manque perpétuel d’amour à cause d’un secret de famille qui donne l’impression de servir un peu d’excuse.
Le roman esquisse aussi l’amour filial mais surtout cette sorte de jubilation que peut avoir l’écrivain à être reconnu, admiré, voire comme ici adulé par l’éditeur ; cet écrivain excessivement enamouré par une épouse particulièrement compréhensive, voire hors standards.
Les codes sont bousculés, mais on paraît rester dans la tradition…
Le personnage principal à qui tout réussit agace par son autosuffisance et est délicieusement pourtant pas du tout sûr de lui. Là encore, on retrouve cette tension psychologique très chère à Stefan Zweig.
Certains passages du roman sont inattendus avec bonheur comme ce moment où l’auteur décrit, à sa manière bien à lui, l’héroïne jouant du piano les seins nus.
Patrick Devaux
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