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Roman

Bouche creusée, Valérie Cibot

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 16 Février 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Inculte

Bouche creusée, janvier 2018, 128 pages, 14,90 € . Ecrivain(s): Valérie Cibot Edition: Inculte

 

Elle court, et même parfois très vite. Elle s’infiltre partout et se trouve tout de suite à son aise. Dans les maisons, dans les salons de coiffure et dans les boulangeries. Elle est de toutes les conversations. Elle devient de plus en plus forte et bourdonne dans toutes les oreilles. Elle élargit son répertoire. Elle sait aussi faire mal. Elle blesse. Elle tue. Ou bien, elle pousse quelqu’un à manger de la terre, bouchée après bouchée.

Un homme qui mange de la terre, qui se met l’une après l’autre des poignées dans la bouche : c’est par cette image très forte que commence le premier roman de Valérie Cibot. Pourquoi l’apiculteur se livre-t-il à ce geste désespéré ? Parce qu’elle l’a détruit. Qui est « elle » ? La rumeur. La rumeur qui dit qu’il aurait été un peu trop proche d’un étranger. Les commérages se sont transformés en une hystérie collective, la violence s’est déchaînée. L’apiculteur n’en peut plus.

4321, Paul Auster

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 15 Février 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Actes Sud

4321, janvier 2018, trad. américain Gérard Meudal, 1016 pages, 28 € . Ecrivain(s): Paul Auster Edition: Actes Sud

 

Gros livre 4321 ? Assurément, avec ses 1016 pages. Mais long livre ? Nullement, tant l’écriture parfaite de Paul Auster sait nous emmener au cœur de ces vies restituées de personnages attachants, hauts en couleurs, inoubliables. Une lecture fleuve, qui emporte dans ses longues phrases fluides, un peu proustiennes, dans les méandres délicieux de la saga des Ferguson, dans les rues babéliennes de New-York, dans les folies familiales. Le grand, très grand Auster est de retour, et c’est une nouvelle formidable pour la littérature !

Ferguson est fils et petit-fils de Ferguson. Sauf que, le grand-père ne s’appelait pas Ferguson, en tout cas pas à l’origine. Il s’appelait Reznikoff. C’est toute une histoire bien sûr ! Suivons un instant grand-père « Reznikoff » :

Si j’ai le cœur étroit, à quoi sert que le monde soit si vaste, Michel Paulet

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 14 Février 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Thierry Marchaisse

Si j’ai le cœur étroit, à quoi sert que le monde soit si vaste, janvier 2018, 353 pages, 21 € . Ecrivain(s): Michel Paulet Edition: Thierry Marchaisse

Voilà un livre qui marque, et la mémoire, et l’imaginaire. Un sacré livre.

Son titre interroge et titille, sa couverture magnifique dans des rouges de cuir cordouan, lumières du grand canal et défilé masqué des Brigades Rouges, renseigne et ne dit pour autant pas tout, loin s’en faut ! Tout se présente donc au mieux pour aborder une excellente lecture…

Comment se fait-il, de plus, que dès les premières pages on se dise qu’on a là un roman russe, de la plus belle eau, ceux de Tourgueniev, de Tchekhov, et bien vite l’évidence de côtés dostoïevskiens ; tout ça par les sujets, la langue, l’atmosphère, surtout, et ce long déroulé qui n’en finit pas de rebondir. Une évidence, cette parenté russe ! Alors, quand vient – roman dans le roman, à la manière des poupées en bois peint en rouge sibérien – une tombe dans le San Michele de Venise, îlot humide cousu de ses pierres tombales illustres et plus que romantiques, occupée par une femme mystérieuse venue de l’Empire russe à la fin du XIXème siècle, le lecteur se régale d’avance : du russe, du Venise, du vieil Autriche Hongrie, accroché à chaque mur décrépi le long des canaux immobiles, des mystères attendus au fond d’églises baroquantes dont on sentirait presque l’écœurant encens… une merveille de roman historique à rallonge, mâtiné d’un peu de Dan Brown (en nettement mieux écrit que le fumeux Da Vinci) ?

Juste après la vague, Sandrine Collette

, le Mardi, 13 Février 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Denoël

Juste après la vague, janvier 2018, 302 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Sandrine Collette Edition: Denoël

 

Rien ne vient contredire davantage cette belle et bien souvent très juste citation d’Alberto Manguel : « La lecture est une tâche confortable, solitaire, lente et sensuelle… » (1), que ce nouveau roman de Sandrine Collette. C’est que Juste après la vague n’est vraiment pas un roman comme les autres. Les récits d’anticipation dystopiques ne manquent pas, mais celui-ci, si c’en est un, ne convoque pas les éléments traditionnels qui les caractérisent et les distancient confortablement de notre monde réel. On n’y trouve pas de message politique à valeur prophétique ni de mise en garde. Et si les ancrages géographiques et temporels s’affranchissent volontairement de toute réalité, les tsunamis, typhons et autres catastrophes naturelles de ces dernières années ne peuvent que venir à l’esprit du lecteur, et ce, dès l’incipit. Le seul élément fantastique du récit est ce que des enfants décrivent comme un « monstre » et qui pourrait très bien n’être qu’un gros mammifère marin.

Amour monstre, Katherine Dunn

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Lundi, 12 Février 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, USA, Gallmeister

Amour monstre (Geek Love), février 2018, trad. (USA) Jacques Mailhos, 11,80 € . Ecrivain(s): Katherine Dunn Edition: Gallmeister

« Les êtres que nous appelons monstres ne le sont pas pour Dieu, qui voit dans l’immensité de son ouvrage l’infinité des formes qu’il y a englobées ; et il est à croire que cette forme qui nous frappe d’étonnement se rapporte et se rattache à quelque autre forme d’un même genre, inconnu de l’homme »

Les Essais, livre II, chap. 30, Montaigne

Dans ce roman il est question d’une famille, les Binewski, d’une troupe de cirque et de performances parfois sanglantes. L’anthropomorphisme le dispute à la monstruosité, par la veine fantastique et hors normes. L’on peut parler à propos d’Amour monstre d’une filiation avec l’univers de Doris Lessing (1919-2013), de métafiction – une fiction qui puise ses références à travers des expériences réelles –, de réalisme magique post-moderne proche d’Angela Carter (1940-1992). Cette tradition du fantastique et du merveilleux – des fééries – remonte à Shakespeare. Cette sorte de transhumanisme que manifeste l’œuvre, à l’envers, déborde d’énergie, transhumanisme non pas eugéniste rayant du monde les handicapés mais au contraire les ralliant à lui, dans le sens de uplifting, d’édification, d’élévation, de provolution, un courant transbiologiste. L’anomalie y occupe une place prépondérante, ainsi que le renversement des valeurs, le bébé « normal » prêt à être abandonné…