Sans lendemain, Jake Hinkson
Sans lendemain, février 2018, trad. De l’américain par Sophie Aslanides, 222 pages, 19,90 €
Ecrivain(s): Jake Hinkson Edition: GallmeisterÁ la fin des années 1940, à bord d’une station wagon Mercury bourrée de boites de films, Billie Dixon parcourt le Midwest. Elle (puisque Billie est une jeune femme, même si elle porte le pantalon) est chargée par la PRC, l’une des maisons de production de la Poverty Row, de la distribution de films série B, dans les villages les plus reculés. Un jour elle s’enfonce dans les Ozarks, à la limite du Midwest et de l’Arkansas et débarque à Stock’s Settlement. Là, trône, avec sa façade Beaux Arts marron, le cinéma Eureka. Claude Jeter dit Claude, le propriétaire de la salle, serait prêt à projeter les films de Billie si le pasteur Obadiah Henshaw maître de l’Église baptiste du tabernacle rachetée par le sang ne veillait, ô combien, à la pureté des âmes de ses ouailles ! Sa vision fanatique de la religion et de ses pratiques s’oppose à tout ce qui se rattache à la perverse Hollywood ! Les arguments de Billie resteront lettres mortes face à l’intolérance de l’exalté frère Henshaw. Mais, notre démarcheuse, peut-être, plus sensible aux plaisirs de la chair que son interlocuteur a remarqué chez Amberly, l’épouse de l’ecclésiastique, que les liaisons gomorrhéennes (comme l’eût dit Proust) ne semblent pas effaroucher, des charmes qui font naître de douces pensées et de délicieux vertiges. C’est l’équation de départ de ce livre. Un beau thriller, dont l’éclatante noirceur nous mène insidieusement dans un style classique et précis sur les rives de l’inconscient où (le sait-elle ?) la pauvre Billie va échouer avant qu’on ne la conduise devant la justice des hommes, au tribunal.
On pourrait, pour la froideur de ses crimes, ajouter Billie à la longue cohorte des psychopathes et sociopathes qui font vivre les auteurs de romans noirs. Mais, il faut y ajouter le brillant de son illusion hollywoodienne qui s’est terni avec les refus, au point que l’on peut penser qu’elle ne se reconnaîtrait plus dans un miroir au tain altéré par les années passée à fréquenter l’usine à rêves. C’est l’une des facettes de ce roman.
L’autre c’est l’Amérique des années 1940, telle qu’elle nous apparaît au tribunal. Dans le cœur de ce grand pays il y a encore de l’esprit puritain et conservateur des colons du Mayflower, ceux-là même qui, enfuis de la vieille Angleterre, firent le pire et le meilleur des USA. Le premier crime de Billie est son homosexualité, le deuxième sa modernité.
Cet ouvrage est donc aussi celui du grand rêve américain lorsqu’il vire au cauchemar et se transforme, pour l’une des protagonistes, en inéluctable fatalité. Billie toute honte bue accepte le déroulé des évènements jusqu’à la mort.
Un grand roman d’un grand auteur admirablement traduit par Sophie Aslanides. Merci aux Éditions Gallmeister qui nous réservent toujours d’agréables surprises.
Jean-Jacques Bretou
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