Le rêveur des bords du Tigre, Fawaz Hussain
Le rêveur des bords du Tigre, octobre 2017, 172 p. 16,90 €
Ecrivain(s): Fawaz Hussain Edition: Les Escales
C’est un roman plein de nostalgie et de douleur que nous offre Fawaz Hussain. Nostalgie d’un pays perdu par l’absurdité de la guerre et de la politique des hommes.
Farzand, Kurde exilé à Paris depuis sa jeunesse, voudrait retrouver sa ville natale, dans le Kurdistan syrien. Mais la guerre civile qui y sévit l’arrête dans son projet à la frontière entre la Turquie et la Syrie, au bord du Tigre. C’est quand même une terre « kurde » dans laquelle il se trouve, mais occupée par une nation étrangère.
Le retour sur les terres natales va être plus un voyage dans le temps que dans l’espace. C’est un univers enfoui dans sa mémoire que Farzand va voir surgir et déferler sur lui, un flot permanent d’émotions qui va le submerger, dès son arrivée.
« En descendant de l’avion, j’eus l’impression d’entrer dans une fournaise. Un souffle brûlant me lécha le visage, s’engouffra dans mes poumons et me rendit illico à mon enfance. Je revis ma mère devant le four installé dans la cour de la maison de ma grand-mère à Amoudé. Elle plongeait des aubergines embrochées dans la gueule du four pour préparer ensuite, avec de l’ail pilé et de l’huile d’olive, un plat de caviar d’aubergine qu’on mangerait avec du pain fait maison. »
La mémoire, chez Fawaz Hussain, emprunte les chemins des sensations physiques, parfums d’autrefois, couleurs retrouvées après les années de grisaille parisienne, assauts étouffants d’événements terribles, comme cet incendie dans un cinéma plein d’enfants, en 1960, qui avait coûté la vie à des centaines d’enfants.
« Du jour au lendemain, le sud de l’ancien cimetière où reposait mon arrière-grand-père fut comme un champ où poussèrent les pierres tombales. On enterra les corps non identifiés dans une fosse commune pour que chacun y pleurât tout son soûl, car toutes les familles étaient touchées par la perte d’un enfant ou deux. »
La lourde atmosphère de la Turquie islamique tombe sur notre exilé. Il avait oublié à Paris ce qu’est de vivre sous la chape oppressante d’un islam intolérant, où tout est interdit, tout ce qui est plaisir, joie, liberté. Tout ce qu’était son pays d’autrefois a disparu. Farzand, désabusé, voit au bord du fleuve les signes d’une oppression sourde, intériorisée par tous, la menace toujours présente.
« Les eaux grondaient, gentiment, de l’autre côté en franchissant les blocs de pierre qui leur faisaient obstacle. Les amoureux se prenaient par la main, lançaient à la ronde des regards enfiévrés. Ils brûlaient d’envie de se jeter dans les bras l’un de l’autre, mais avec le poids des tabous, se contentaient de baisers dérobés. Dans ce pays de toutes les oppressions, un couteau pouvait s’enfoncer facilement dans la poitrine d’un jeune, rien que pour un regard. Une fille pouvait être égorgée par un frère ou un père si elle badinait avec l’honneur de la famille. »
Les souvenirs de Farzand se mêlent. A ceux de sa jeunesse viennent s’ajouter ceux de Paris où le malheur ne l’a pas épargné, malgré l’accueil confortable de la Ville des libertés. Un malheur intime, celui qui frappe une famille, celle qu’il avait, par son courage et son travail, réussi à construire. Une femme et un fils enfin. Mais le destin a des cruautés parfois incroyables et il n’a rien épargné au malheureux exilé.
La recherche du temps perdu est toujours vouée à l’échec, c’est la condition des hommes. Le pays où les gens que l’on retrouve ne sont plus ceux que l’on a connus. Ces pays d’autrefois n’existent que dans la mémoire de ceux qui les ont habités. Farzand va connaître l’échec inéluctable de sa quête, ajoutant à la tristesse d’une vie sombre la disparition du pays de son enfance. Mais un enfant rencontré, Mirza, va faire entrer la lumière dans l’ombre. Un enfant magnifique, joyeux, vivant, intelligent. La figure de l’espoir enfin ?
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
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