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Récits

Le Lambeau, Philippe Lançon

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 08 Juin 2018. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Le Lambeau, avril 2018, 21 € . Ecrivain(s): Philippe Lançon Edition: Gallimard

 

« Lorsqu’on ne s’y attend pas, combien de temps faut-il pour sentir que la mort arrive. Ce n’est pas seulement l’imagination qui est dépassée par l’événement ; ce sont les sensations elles-mêmes. J’ai entendu d’autres petits bruits secs, pas du tout de bruyantes détonations de cinéma, non, des pétards sourds et sans écho, et j’ai cru un instant… mais qu’ai-je cru, exactement ? ».

Tout bascule ce 7 janvier 2015 vers 10h30. Deuxième épisode d’un feuilleton islamiste morbide, d’une trajectoire nihiliste. Tout bascule dans la salle de rédaction d’un journal satirique, où s’invitent comme le diable deux hommes en noir, « lourdement armés ». Un carnage devait avoir lieu, et il eut lieu. Charlie Hebdo devient le lieu de la dévastation annoncée. Le Lambeau vient de là, de cette zone où s’est imposé le désastre islamiste – Les morts se tenaient par la main. Le pied de l’un touchait le ventre de l’autre, dont les doigts effleuraient le visage du troisième, qui penchait vers la hanche du quatrième, qui semblait regarder le plafond, et tous, comme jamais et pour toujours, devinrent dans cette disposition mes compagnons. Le Lambeau est le récit – l’art de voir, de se souvenir et l’art d’écrire ce que l’on a vu, entendu, senti, vécu, rêvé – d’un chemin de croix inversé, de la mort à la résurrection, des ténèbres à la lumière, de l’effroi à une nouvelle vie.

Relation des voyages faits en France, en Flandre, en Hollande et en Allemagne (1708), Élie Richard

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 05 Juin 2018. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Honoré Champion, Voyages

Relation des voyages faits en France, en Flandre, en Hollande et en Allemagne (1708), Elie Richard, octobre 2017, 334 pages, 60 € . Ecrivain(s): Kees Meerhoff Edition: Editions Honoré Champion

 

Les historiens ne se sont jamais accordés quant aux motivations exactes qui, à partir des années 1680, déterminèrent Louis XIV à prendre certaines décisions, au premier rang desquelles figure la Révocation de l’Édit de Nantes. Volonté politique de clore la parenthèse ouverte par les guerres de religion et de revenir à l’unité médiévale ? Influence de madame de Maintenon (dont le propre grand-père fut un Huguenot hystérique) ? Crise mystique (chez un monarque à peu près dépourvu de culture religieuse) ? Désir de plaire au Pape et d’être un jour canonisé, à l’égal de son ancêtre saint Louis ? Bêtise pure (contre laquelle, disait Goethe, les dieux mêmes ne peuvent rien, et dont les historiens ont tendance à minorer le rôle) ? Quoi qu’il en ait été, cette décision fit le bonheur des Pays-Bas, de l’Angleterre et de l’Allemagne, tous pays à ce moment adversaires ou futurs ennemis de la France. On appelle cela familièrement se tirer une balle dans le pied. Il est injuste que la postérité ait fait de Louis XVI un despote, alors que ce dernier s’était efforcé d’adoucir le sort des protestants français.

L’Urgence et la patience, Jean-Philippe Toussaint

Ecrit par Carole Darricarrère , le Vendredi, 01 Juin 2018. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les éditions de Minuit

L’Urgence et la patience, 107 pages, 11 € . Ecrivain(s): Jean-Philippe Toussaint Edition: Les éditions de Minuit

Lu dans un trou de la vue entre minuit et minuit cinq à quelques bâillements de serrures et années de distance du temps fortuit de son achat, cet essai, ces confessions, ce fourre-tout éclectique, ce petit livre blanc light comme un jour de jeûne – petit c’est parfois dense – dans lequel il n’est question cette fois ni de fuir ni de faire l’amour mais bel et bien de regarder non son nombril mais les articulations de la langue de face dans sa propre altérité, dans ses zones de cohabitation comme d’exclusion – car c’est la langue dans ses rythmes qui agit l’écrivant et non le contraire – ; de se poser, en appariteur du monologue, le temps de trier-classer-compter-compiler un nombre épars de papiers anciens, rassemblés de droite et de gauche au centre, sous couvert de la question de l’urgence et (de) la patience entendues comme deux piliers de l’écriture, non sans une certaine inclination complaisamment contemporaine de chef-cuisinier cosmopolite habile dans l’interprétation qu’un filet de sauce à lui seul a le pouvoir de conférer à un mets, auquel une réputation sans faute s’attache, lui intimant une légitime tentation de s’asseoir sur le laurier, ce petit snack, entre deux plats de consistance ce sorbet, un Perrier-citron se prêtant à ce selfie sans craindre le snobisme, ce très léger sentiment d’ivresse que procurent les apnées entre deux inspirations, cet opus d’une minceur absolue ayant longuement glissé de pile en pile hors de ma vue, cette plume postmoderne dans le vent des pages enfin stabilisée entre mes deux mains voici ce qu’il en reste : un sentiment de faim extrêmement dense.

Une terrasse en Algérie, Jean-Louis Comolli

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 30 Mai 2018. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Verdier

Une terrasse en Algérie, février 2018, 192 pages, 14 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Comolli Edition: Verdier

 

Plus de soixante ans après les faits tragiques, Jean-Louis Comolli revient par l’écriture dans l’Algérie qu’il a dû quitter un jour de 1961.

Né en 1941, l’amoureux du cinéma, le cinéphile, l’essayiste connu, le cinéaste, entreprend de nous raconter par le menu ce que furent ces années-là, terribles, à Philippeville en Algérie, ces années 55 à 57, germes tragiques d’une « drôle de guerre » faite d’embuscades, de tortures, de guérilla urbaine, d’attaques rurales, de factions opposées entre des communautés qui avaient « commencé » à vivre ensemble : les Pieds Noirs, installés de tout temps, auxquels Jean-Louis, par ses parents, ses grands-parents, appartient de plein droit ; les Arabes, les Kabyles, souvent méconnus, peu visibles, réduits chez les précédents aux tâches subalternes (et le grand-père Florentin est une exception, un entrepreneur qui conçoit l’égalité avec ses employés kabyles) ; le pouvoir français qui joue comme tout pouvoir de sa domination.

Faire-part, Jean-Louis Rambour

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 29 Mai 2018. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Faire-part, Jean-Louis Rambour, éd. Gros Textes, 2017, 64 pages, 6 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Rambour

 

Si nous ne sommes pas tous égaux à la naissance, nous ne le sommes pas davantage devant la mort, cela nous tous le savons. La force de cet opus et l’efficacité du poète Jean-Louis Rambour reviennent ici à une mise en scène fantaisiste, du moins pas toujours sérieuse, des cérémonies funèbres célébrant le décès d’une personnalité, d’un quidam, d’un anonyme – une récréation par les mots qui nous sauve de la gravité du moment tout en nous invitant à poser un regard lucide, authentique et humoristique sur cet événement tragique.

Si des personnalités font l’objet de quelques notices nécrologiques parmi les 44 proposées (Juliette Gréco, Robert Lamoureux, Margaret T., Maurice André, Jésus, Hugo Chavez (et Stéphane Hessel)), cependant nous retrouvons surtout dans l’inventaire de l’auteur du Mémo d’Amiens la présence (disparue) de quidams ou de petites gens qui n’en n’ont pas moins marqué leur temps, chacun à sa manière.