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L’Urgence et la patience, Jean-Philippe Toussaint

Ecrit par Carole Darricarrère 01.06.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Les éditions de Minuit

L’Urgence et la patience, 107 pages, 11 €

Ecrivain(s): Jean-Philippe Toussaint Edition: Les éditions de Minuit

L’Urgence et la patience, Jean-Philippe Toussaint

Lu dans un trou de la vue entre minuit et minuit cinq à quelques bâillements de serrures et années de distance du temps fortuit de son achat, cet essai, ces confessions, ce fourre-tout éclectique, ce petit livre blanc light comme un jour de jeûne – petit c’est parfois dense – dans lequel il n’est question cette fois ni de fuir ni de faire l’amour mais bel et bien de regarder non son nombril mais les articulations de la langue de face dans sa propre altérité, dans ses zones de cohabitation comme d’exclusion – car c’est la langue dans ses rythmes qui agit l’écrivant et non le contraire – ; de se poser, en appariteur du monologue, le temps de trier-classer-compter-compiler un nombre épars de papiers anciens, rassemblés de droite et de gauche au centre, sous couvert de la question de l’urgence et (de) la patience entendues comme deux piliers de l’écriture, non sans une certaine inclination complaisamment contemporaine de chef-cuisinier cosmopolite habile dans l’interprétation qu’un filet de sauce à lui seul a le pouvoir de conférer à un mets, auquel une réputation sans faute s’attache, lui intimant une légitime tentation de s’asseoir sur le laurier, ce petit snack, entre deux plats de consistance ce sorbet, un Perrier-citron se prêtant à ce selfie sans craindre le snobisme, ce très léger sentiment d’ivresse que procurent les apnées entre deux inspirations, cet opus d’une minceur absolue ayant longuement glissé de pile en pile hors de ma vue, cette plume postmoderne dans le vent des pages enfin stabilisée entre mes deux mains voici ce qu’il en reste : un sentiment de faim extrêmement dense.

S’agissant de dire ce qui porte l’écriture, ses lignes de force, sa genèse, l’apparition disert de Beckett entrant à sa rescousse au chapitre IX lui offre ses meilleures pages, invité d’honneur, coup de maître, cet emblème de la rigueur suprême sculptée au couteau de vent nous le confirmera le talent ne trouve véritablement de confirmation qu’en l’autre, cet irrésistible film flatteur que nous tendent sur fond de doute nos plus chers miroirs dans le vide absolu de l’abstraction de l’air. Entre l’urgence et la patience elle, une forme courte, le vide. Il ne restait plus qu’à le combler. Cela est fait. En onze chapitres brefs. Mosaïque de cires perdues, de descriptions, de parenthèses, de bureaux, de rencontres, de lieux, d’intimité, de confidences, de moments, d’hommages, d’étapes, de souvenirs, de clins d’yeux par-dessus le verre, ici, à Paris : ah Paris quelle légende !, le temps d’une manœuvre paternelle de séduction, d’un entre-nous, un chemin de courants d’air dans lequel ne jamais se mettre tout à fait à poil.

Ces deux banderilles une fois plantées, l’urgence et la patience, il ne restait plus qu’à tourner longuement la cuillère autour sans trop en avoir l’air, agiter le mouchoir, avec cette élégance, cette minceur, cette confiance, cette innocence, cette conscience de soi qui caractérisent le toréador tout frétillant de ses paillettes dont le métier consiste à balader la bête – ici le lecteur –, à l’attendre là où elle ne s’y attendait pas, à l’emmener dans un jeu ayant à cœur de l’égarer, oui mais rebondir, changeant de direction freiner, un art de ne rien dire sans trop y croire, gagner du temps, se soustraire, se perdre dans le détail, passer du coq à l’âne, allonger la sauce, faire mine de, boucher les trous, taquiner le spectateur, lui tendre ô leurre une tétine bleue – ici un fauteuil objet de son désir –, tourner autour du pot, s’écarter du sujet, creuser la forme, l’horizon se stabilisant sur le je, l’urgence dans la patience, son élasticité, sa plasticité plate, nonobstant son poids, épreuve de la vitesse d’exécution de l’écriture exprimée ici en flocons de céréales ; un mix, ou plutôt un remix, un poudrage constitué de postfaces, préfaces, extraits, chutes, contributions, tirés à part, inédits : secouez, c’est prêt.

L’imagination, opium du penseur, à défaut de sévir, est supplantée ici par l’instinct voyageur du rouge-gorge, cette infinie déambulation qui sauve potentiellement tout lecteur de l’ennui du même, les allers retours le lent de l’espace dans le temps de la carte accouchant d’une confidence biographique, friandise sienne, cerise sur le gâteau. Ces faux départs rongés de sueur et de sel qui débandent dans le point, livre d’impasses rêvant d’un ailleurs ouvrant sur la mer, ces manifestations neutres de l’accompagnement érigées en art à part entière. Coquetteries de mijaurées. Caprice d’auteur. À ce stade de sa carrière, que ce livre se sente obligé de fabriquer du discours vous étonnera-t-il ? Un livre à réécrire en attendant le dessert. C’est fait. Qu’on le lui pardonne.

 

Carole Darricarrère

 


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A propos de l'écrivain

Jean-Philippe Toussaint

 

Jean-Philippe Toussaint est un écrivain et réalisateur belge de langue française né le 29 novembre 1957 à Bruxelles.

 

A propos du rédacteur

Carole Darricarrère

 

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Carole Darricarrère est née en 1959 en Afrique où elle a grandi. Elle est l’auteure de nombreux livres de poésie. Son travail oscille entre différents vortex d’écriture embrassant dans un même élan la littérature et la photographie d’auteur ou encore la création radiophonique.

 

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