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Récits

L’Italie buissonnière, Dominique Fernandez (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mardi, 17 Mars 2020. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset, Voyages

L’Italie buissonnière, janvier 2020, 464 pages, 23 € . Ecrivain(s): Dominique Fernandez Edition: Grasset

 

Dominique Fernandez est sans doute le plus italien des écrivains français, tant par sa connaissance du pays, de sa langue, de ses œuvres d’art que de son Histoire, de ses écrivains et artistes, peintres, sculpteurs, et de ses cinéastes en particulier. Son Dictionnaire amoureux de l’Italie paru en 2008 chez Plon suffirait à le prouver s’il n’y avait chez ce passionné d’art et du partage du génie artistique transalpin, le puissant besoin de toujours aller plus loin dans la découverte, dans l’analyse et dans la volonté de redonner une dimension charnelle, sexuelle, sensuelle aux œuvres connues ou relativement méconnues (ces dernières faisant l’objet de cet essai) qu’un discours de doctes spécialistes a souvent traité de manière pour le moins hypocrite et compassée. L’exercice est d’autant plus réussi et distrayant que l’écrivain est doté d’un humour qui ne s’embarrasse pas de faux-fuyants, qui n’hésite pas à s’attaquer aux tabous de tous types et de toutes époques. La parole est libre, l’esprit est fin et jeune, la capacité à se jouer des interdits reste plus que jamais inaltérée.

Emportée, suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer, Paule du Bouchet (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 16 Mars 2020. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Emportée, suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer, mars 2020, 128 pages, 14 € . Ecrivain(s): Paule du Bouchet Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Le livre de la mère

Paule du Bouchet écrit « les détours inouïs » de la vie douloureuse et lumineuse de Tina Jolas, sa mère. « Emportée » par son amour passion pour René Char, cette femme (aimée par sa fille) la quitte lorsqu’elle a 6 ans.

Sous forme de carnet intime où s’intercalent des fragments d’une correspondance échangée entre la mère et son amie Carmen Meyer, le texte met en jeu des séquences de vie bouleversées entre plusieurs subjectivités et enjeux de vérité. L’auteur évite toute polémique ou indiscrétion. Même lorsque René Char abandonna celle qui éprouva pour lui sa grande passion amoureuse. D’ailleurs son agonie commença lors du décès du poète.

Paule du Bouchet endura sans recours les départs et les disparitions de sa mère. Elle reste – contrairement à Betsy, sa sœur – une inconnue pour le grand public. Pour René Char, elle rédigea néanmoins une partie de l’appareil critique de l’édition de la Pléiade. Et elle connaissait admirablement Ossip Mandelstam, Emily Dickinson et William Shakespeare et traduisit plusieurs tomes du Seigneur des anneaux de Tolkien.

Le Consentement, Vanessa Springora (par Mona)

Ecrit par Mona , le Jeudi, 12 Mars 2020. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

Le Consentement, Vanessa Springora, janvier 2020, 206 pages, 18 € Edition: Grasset

Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait un livre.

Le « séduisant G », écrivain presque quinquagénaire, est addict (« une forme d’addiction incontrôlable ») aux moins de seize ans, et la jeune fille de 14 ans en mal d’amour a une « soif de junkie qui ne regarde pas à la qualité du produit ». L’histoire de Vanessa Springora peut commencer, « les conditions sont maintenant réunies ». Le début ressemble à une histoire romanesque à souhait : cour assidue, échanges épistolaires sous le signe des liaisons dangereuses, un amant prêt à attendre un an avant de jouir de sa « belle écolière » (« J’ai rencontré G à l’âge de treize ans. Nous sommes devenus amants quand j’en ai eu quatorze »), la présence d’un corbeau. Mais c’est le récit de l’emprise d’un pervers narcissique sur une gamine perdue (« la paumée ») qui nous est contée. Le prologue loue la visée édificatrice des contes de fées : « les contes pour enfants sont source de sagesse… Autant d’avertissements que toute jeune personne ferait bien de suivre à la lettre ». Si, jeune fille, elle a cru à un conte de fées, elle apprend bien vite à ses dépens que « cet homme n’était pas bon. Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance : un ogre… Le prince charmant a montré son vrai visage ». L’auteure en tire une conclusion générale pour tous les écrivains : « les écrivains sont des gens qui ne gagnent pas toujours à être connus. On aurait tort de croire qu’ils sont comme tout le monde. Ils sont bien pires. Ce sont des vampires ».

Puisque voici l’aurore, Annie Cohen (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 03 Février 2020. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Puisque voici l’aurore, Annie Cohen, janvier 2020, 125 pages, 14 € Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Annie Cohen : reprendre, recommencer.

Après son accident vasculaire cérébral de 1999, Annie Cohen pense toucher le fond. Et cela est bien compréhensible. Le cycle de ses premières œuvres poétiques – dont les cinq volumes parurent chez le même éditeur que ce Journal – semblent faire partie d’un passé qui se referme sur elle. Peu à peu pourtant la vie reprend son cours en concomitance avec l’écriture et une activité plastique – en particulier celle des « rouleaux d’écritures ».

L’Amour y est pour beaucoup. Et c’est un euphémisme. Il va permettre à l’auteure d’écrire sa propre Torah pour chercher encore et encore l’introuvable selon une formule chère à Edmond Jabès : « L’écrivain choisit d’écrire et le Juif de survivre ».

Ecrire ne revient donc pas à opposer l’intelligible au sensible. Et pour Annie Cohen, contrairement à Jacques Lanzmann, la connaissance ne passe pas que par le premier terme. Le problème est de passer « du système à l’excès » (Bataille), de Hegel à Rimbaud, de Heidegger à Joë Bousquet. Si bien que l’auteure en dépit de ses affres et vicissitudes « tient », avance. Car si le « chemin est tracé, la route reste ouverte au-delà de la simple survivance ».

Smara, Carnets de route d’un fou du désert, Michel Vieuchange (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 06 Janvier 2020. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Libretto

Smara, Carnets de route d’un fou du désert, Michel Vieuchange, 256 pages, 9,10 € Edition: Libretto

« … toute vie qui ne se voue pas à un but déterminé est une erreur », nous dit Stefan Zweig dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Si l’on s’en tient à cette affirmation du célèbre écrivain autrichien, incontestablement, la vie de Michel Vieuchange n’aura pas été une erreur. Mais faut-il croire qu’il y avait un prix à payer ? Sa volonté exceptionnelle l’aura amené à une mort précoce : il n’a pas dépassé les 26 ans.

Ces carnets de route nous plongent dans une errance qui semble ne jamais finir, avec pour but ultime Smara, ville-symbole du mirage inhérent au désert, nourrissant abondamment l’imaginaire de l’explorateur français, et néanmoins véritable œuvre de Ma El Aïnin. Autant le dire : la partie est loin d’être gagnée. Ce journal, heureusement récupéré par son frère Jean, avec qui Michel Vieuchange s’est associé pour concevoir et préparer ce projet d’envergure et somme toute dangereux, s’il nous révèle les espérances et l’opiniâtreté de l’intéressé face au but qu’il s’est fixé, fait grandement état des épreuves abominables par lesquelles il passe : douleurs physiques intenses, sommeil continuellement perturbé voire absent, suspicions à l’égard de ses accompagnateurs, nourriture et boissons médiocres, impression d’angoisse devant l’immensité plate du désert… Et pourtant, Michel Vieuchange écrit ; et pourtant, Smara le tient avec fermeté.