Relation des voyages faits en France, en Flandre, en Hollande et en Allemagne (1708), Élie Richard
Relation des voyages faits en France, en Flandre, en Hollande et en Allemagne (1708), Elie Richard, octobre 2017, 334 pages, 60 €
Ecrivain(s): Kees Meerhoff Edition: Editions Honoré Champion
Les historiens ne se sont jamais accordés quant aux motivations exactes qui, à partir des années 1680, déterminèrent Louis XIV à prendre certaines décisions, au premier rang desquelles figure la Révocation de l’Édit de Nantes. Volonté politique de clore la parenthèse ouverte par les guerres de religion et de revenir à l’unité médiévale ? Influence de madame de Maintenon (dont le propre grand-père fut un Huguenot hystérique) ? Crise mystique (chez un monarque à peu près dépourvu de culture religieuse) ? Désir de plaire au Pape et d’être un jour canonisé, à l’égal de son ancêtre saint Louis ? Bêtise pure (contre laquelle, disait Goethe, les dieux mêmes ne peuvent rien, et dont les historiens ont tendance à minorer le rôle) ? Quoi qu’il en ait été, cette décision fit le bonheur des Pays-Bas, de l’Angleterre et de l’Allemagne, tous pays à ce moment adversaires ou futurs ennemis de la France. On appelle cela familièrement se tirer une balle dans le pied. Il est injuste que la postérité ait fait de Louis XVI un despote, alors que ce dernier s’était efforcé d’adoucir le sort des protestants français.
La Révocation provoqua des tragédies sans nombres et brisa de nombreuses familles. Ceux qui partaient hors de France voyaient leurs biens confisqués. Certains protestants continuèrent pourtant de pratiquer leur religion en France, mais de manière fort discrète, pour ne pas dire clandestine. Avocat à La Rochelle, Élie Richard (1672-1720) fut de ceux-là. Érudit et collectionneur, comme l’étaient souvent les avocats en ce temps-là, il effectua en 1708 un voyage qui le conduisit dans ce qui ne s’appelait pas encore la Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Au retour, il rédigea un compte-rendu de son périple, demeuré manuscrit parmi les collections de la Bibliothèque municipale de La Rochelle. Ce texte inédit, solidement publié par Kees Meerhoff, se lit avec agrément. Élie Richard n’avait pas entrepris son voyage à seule fin de se cultiver. Il allait également rencontrer des membres de sa parentèle qui avaient fui la France sans retour. Mais c’était avant tout un esprit curieux qui visite ce qui mérite de l’être, de la pierre levée près de Poitiers, rendue célèbre par Rabelais (p.60), à la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. En Hollande, il observe les ravages de la « tulipomanie », dont le caractère irrationnel avait frappé l’Europe (p.200). Les remarques sur les auberges allemandes font écho aux observations de Montaigne, à plus d’un siècle de distance (p.234). Richard, qui appartient lui-même à une minorité religieuse persécutée, s’émerveille (après d’autres) de la tolérance dont bénéficient les Juifs en Hollande (p.164). Néanmoins, sa remarque sur Spinoza, lorsqu’il visite la demeure où le philosophe rendit son dernier soupir, montre assez les limites de sa propre tolérance : « On me montra à La Haye la petite maison où est mort Benoist Spinoza, ce miserable Juif, qui après avoir abandonné sa religion, fit profession publique d’atheisme et en fit un sistéme » (p.198). Il ne fait en cela, il est vrai, que suivre le jugement de Pierre Bayle, le modèle de l’intellectuel protestant persécuté et exilé.
Il est impossible, quelle que soit la mémoire dont on dispose (et même si celle de nos ancêtres était mieux exercée que la nôtre) de se rappeler autant de détails que ceux consignés dans la relation d’Élie Richard. Celle-ci fut rédigée à son retour en France, adossée à une bibliothèque bien garnie, avec sur la table de travail plusieurs volumes ouverts, dont Richard n’a pas hésité à recopier des passages entiers. Les notes fournies de Kees Meerhoff montrent à quelles sources livresques s’alimentent les descriptions (était-il cependant nécessaire de préciser qui fut Clovis, p.58 ?). Élie Richard avait conservé son manuscrit par devers lui et, comme effrayé par sa propre audace, en avait cancellé les passages les plus compromettants, à présent rétablis (« La quantité de François que j’ay vu en Hollande m’a souvent fait reflechir sur le zelle peu politique de la France, qui a engagé ces pauvres gens à abandonner leur patrie et leurs biens et a perdu par là un grand nombre de bons citoyens qui faisoient fleurir le royaume. Les rigueurs avec lesquelles on les a voulu faire changer de religion tout à coup leur a fait prendre ce parti. Ils ont emporté ce qu’ils ont pu et si les uns s’en sont allés avec rien, d’autres ont emporté des sommes considerables, ce qui a appauvri le royaume et d’hommes et d’argent », p.208). C’est un beau et solide travail d’érudition que nous propose Kees Meerhoff. Élie Richard avait également narré, de manière plus concise, un voyage dans les Pyrénées.
Gilles Banderier
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