Faire-part, Jean-Louis Rambour
Faire-part, Jean-Louis Rambour, éd. Gros Textes, 2017, 64 pages, 6 €
Ecrivain(s): Jean-Louis Rambour
Si nous ne sommes pas tous égaux à la naissance, nous ne le sommes pas davantage devant la mort, cela nous tous le savons. La force de cet opus et l’efficacité du poète Jean-Louis Rambour reviennent ici à une mise en scène fantaisiste, du moins pas toujours sérieuse, des cérémonies funèbres célébrant le décès d’une personnalité, d’un quidam, d’un anonyme – une récréation par les mots qui nous sauve de la gravité du moment tout en nous invitant à poser un regard lucide, authentique et humoristique sur cet événement tragique.
Si des personnalités font l’objet de quelques notices nécrologiques parmi les 44 proposées (Juliette Gréco, Robert Lamoureux, Margaret T., Maurice André, Jésus, Hugo Chavez (et Stéphane Hessel)), cependant nous retrouvons surtout dans l’inventaire de l’auteur du Mémo d’Amiens la présence (disparue) de quidams ou de petites gens qui n’en n’ont pas moins marqué leur temps, chacun à sa manière.
Davantage, les « anonymes » mettent en évidence par la notice nécrologique que Jean-Louis Rambour leur accorde, l’absurdité de la condition humaine, la vacuité du vacarme du monde, les leurres de notre société du spectacle et des apparences. Une profonde humanité, discrète et toute en pudeur, est avec élégance contenue dans ces avis mortuaires et le lecteur saisit entre certaines lignes, sourire averti aux lèvres, le clin d’œil de certains portraits qui nous regardent encore à travers et au-delà de leur masque mortuaire. Ainsi ce SDF mort à l’hôpital après avoir été roué de coups, non identifié si ce n’est par un tatouage écrivant sur son avant-bras Kocham çie (en polonais « je t’aime »), repris partiellement sur la déclaration de son décès comme un prête-nom : Kocham. Kocham comme… « Quidam », « Personne », si peu, existant pourtant et pesant son poids : celui de la vie d’un homme.
« 44 notices nécrologiques pour prendre le pouls du temps », signale la quatrième de couverture. Faire-part portant la signature d’Ecce Homo dans sa misère et sa splendeur.
Le tour de force de Jean-Louis Rambour est d’introduire les signes salutaires de la dérision dans ces circonstances : ainsi la notice nécrologique d’un Albert Camus homonyme de l’écrivain célèbre et dont la notice indique que sa vie fut tout aussi importante que celle du Dernier Homme ; ainsi la notice nécrologique pour « Daniel Belfort », « mort d’hypothermie dans sa propre maison », de n’être jamais revenu à la communauté des Hommes après avoir subi la déportation à Sobibor ; ainsi cette femme âgée, « Suzette Debrie », habituée obsessionnellement à rendre visite à ses morts dans « le parc de la résidence La Margeride » et autour de laquelle les pensionnaires se regroupent plutôt que d’aller écouter un concert afin de se recueillir devant sa nouvelle demeure (une « taupinière », « une butte en formation », de ces monticules de terre que Suzette baptisait du prénom d’une amie décédée), ainsi…
Que nous dit après tout – avant tout – le poète, Jean-Louis Rambour, si ce n’est que la disparition d’un homme, d’une femme, quel qu’il soit, quelle qu’elle soit, mériterait au-delà des conventions et des consensus sociétaux la même attention, la même résonance, le même recueillement de mémoire pour tous, pour toutes, loin des effusions, du vacarme, du spectacle.
Quelques notices caustiques, aussi, remettent les pendules à l’heure du temps authentique : ainsi la notice nécrologique n°12 concernant une certaine « Margaret T. ». N°12, oui, car les notices nécrologiques sont numérotées, comme nos existences chiffrées, comptabilisées depuis l’état civil, une existence parmi tant d’autres.
Bien sûr l’humour est au-rendez-vous car il faut rire de la mort, aussi. Par exemple, les deux notices consacrées à « Sandrine Chennevière », non nommée dans la première notice puisque les paramètres de son environnement face à la violence de sa mort effacent l’identité, la présence, la personnalité de la défunte, réduite à un membre, retrouvée dans la seconde notice ; ainsi des faits divers happant dans leur spirale aveuglante le cœur d’une réalité concrète, étouffant par leur vacarme jusqu’à la mort du défunt célébré…
Par ce Faire-part, J.-L. Rambour fait un beau pied de nez au « grand cinéma » ou à la « comédie » de la mort, lorsque celle-ci est mise en scène et perd, faute d’humanité réelle, la véracité noire et authentique de son irruption toujours brutale.
Lorsque le recueillement face à la disparition d’un être humain manque de sérieux, la marionnette Ecce homo apparaît, mais tombe sa mascarade, démasquée par le poète qui ne manquera pas de provoquer notre sourire face à la farce attentée parfois à nos vies par une mort aux faire-part grotesques, ici recomposés. Ce Faire-part jette surtout de l’encre authentique dans « la pâture du dernier soupir » pour rendre un hommage à des disparu(e)s inconnu(e)s que ses 44 notices nécrologiques font vivre ou ressuscitent le temps d’un livre : celui de notre mémoire.
Murielle Compère-Demarcy
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