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Les Livres

Tes ombres sur les talons, Carole Zalberg (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 12 Mai 2021. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Grasset

L’œuvre de Carole Zalberg est riche et variée. Dans sa trajectoire littéraire, deux thèmes récurrents parcourent son chemin : celui qui la concerne directement elle, sa famille et ses exils et son intérêt constant pour les « invisibles », « les gens de peu ». Elle jette sur eux un regard empreint de tendresse et une considération persistante. En fait, les deux champs se recoupent. Ils sont les sujets essentiels de sa quête d’écrivain. Cette femme tente sans cesse de s’interroger sur des itinéraires souvent complexes, parfois très violents, parfois plus lumineux mais toujours tortueux. Elle préfère les chemins de traverse déchirés, plutôt que les existences qui suivent les autoroutes trop lisses à son sens pour mériter qu’elle leur consacre son intérêt et son énergie. Chacun de ses nombreux lecteurs suit sa trajectoire, avec constance, et une curiosité jamais émoussée.

Lorsque nous démarrons la lecture de son dernier roman, Tes ombres sur les talons, publié cette année, nous sommes impatients de deviner où l’auteur va, cette fois, nous entraîner. Une fois encore, elle nous conduit sur les routes de l’exil, jalonnées de tragédies funestes. Le roman commence par un prologue. Une femme fuit son pays en guerre. Elle tient son bébé serré contre sa poitrine. Elle est rejetée de tous les lieux d’accueil. L’enfant n’en survivra pas. « Mehdi n’a pas assez vécu pour savoir qu’il meurt. Son dernier souffle, échoué au seuil de sa bouche, n’est que cela, trop court, épaissi de froid, ravalé par l’enfant que sa mère berce encore ». La tonalité du livre est amorcée.

Un été à Miradour, Florence Delay (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 11 Mai 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Un été à Miradour, février 2021, 112 pages, 12 € . Ecrivain(s): Florence Delay Edition: Gallimard

 

« Aussitôt arrivés à Biarritz, ils se dirigent vers la plage du Miramar, plage sur laquelle donne l’ancienne villa Roussel, devenue villa Begoña. Haute villa à plusieurs étages reliés à l’extérieur par un escalier tournant, balcons tournés vers l’Océan, balustrades cintrées, tout semble danser ».

Un été à Miradour est le roman d’une famille, d’une tribu, d’une troupe, qui se retrouve pour quelques semaines dans cette maison, lumineusement baptisée Miradour. Une maison de famille, transmise de père en père, qui domine l’Adour de sa colline, qui a traversé le siècle et les passions, a fait sienne les joies et parfois les doutes, qui se sont glissés dans les chambres, sans jamais obliger ses pensionnaires d’un jour, d’un été, à se départir de leurs civilités et de leurs bonnes habitudes. Un été à Miradour de Paul, le père, l’homme des savoirs et des transmissions, qui a toute sa vie étudié la mémoire et les maladies mentales, et se penche désormais sur l’avant mémoire, celle des grands-parents. On y croise également Madeleine la mère, Madelou, grande lectrice d’Hölderlin, qu’elle traduit patiemment – « Penchée sur l’épaule de sa mère, Marianne voudrait bien l’aider mais elle est en terre inconnue ».

Vitamines noires, Claire Boitel (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 11 Mai 2021. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman

Vitamines noires, Claire Boitel, éditions Rafaël de Surtis, 2020, 104 pages, 15 €

 

Le septième livre de la poète et romancière Claire Boitel, préfacé par le poète Frédéric Tison, peut être lu certes comme un récit de l’étrange, qu’un certain surréalisme a pu nourrir, qu’un existentialisme noir, sartrien, surtout, a généré comme une plante vénéneuse ou comme un ensemble de « vitamines noires ».

La narratrice de ce récit froid, morbide, étrangement glauque, ressemble à une figure diabolique qui elle-même serait le fruit de l’enfer ou d’un maître-créateur abominable. On suit donc avec effroi le périple, de la Surface aux profondeurs terriennes, de ce personnage (on lui donnera tardivement le prénom d’Anastasie) qui, pour s’être alimentée de légumes et vécu comme une mendiante, a regagné les fonds souterrains, sous la férule d’un maître qui lui impose tout, création, sexe, confrontations avec les Quarante – créatures du maître.

Dérives des âmes et des continents, Shubhangi Swarup (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 10 Mai 2021. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Asie, Roman, Métailié

Dérives des âmes et des continents, Shubhangi Swarup, mars 2020, trad. anglais (Inde) Céline Schwaller, 368 pages, 22 € Edition: Métailié

Au cœur des voix et des sensations se cache une prémonition de ce qui va se produire. Toute évolution est guidée par l’instinct primordial. Celui qui nous rend libres d’explorer les géographies incertaines du désir, pour finalement découvrir le bonheur de la mortalité. L’instinct nous conduit tous vers le lac primordial. Flottant telles de simples cellules isolées, attendant que la vie cesse.

 

Tectoniques des plaques et tectoniques des existences, Dérives des âmes et des continents est un bien étrange et déroutant roman, avec un soupçon de conte et de magie et une grande érudition scientifique : les sciences de la Terre. Il prend racine dans les îles d’Andaman encore habitées de quelques ethnies autochtones et où les Britanniques avaient construit le plus grand et sinistre bagne politique du monde au XIXe siècle. Des îles qui ont été frappées en 2004 par un tsunami des plus meurtriers suite à un des séismes les plus puissants jamais enregistrés. Un jeune couple de mariés s’installe sur une des îles – dans les années 50 on suppose – dans une ancienne demeure coloniale pleine de fantômes.

La fille du sculpteur, Tove Jansson (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Lundi, 10 Mai 2021. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Pays nordiques, Roman

La fille du sculpteur, Tove Jansson, éd. La Peuplade, février 2021, trad. suédois, Catherine Renaud, 176 pages, 18 €

 

Traduit intégralement et édité pour la première fois en français, La fille du sculpteur a été publié en Suède en 1968. C’est le récit d’une enfance inspirée de celle de Tove Jansson, au début du XXe siècle, entre Helsinki et l’archipel de Porvoo, entre le port et l’atelier, les hommes et les animaux, le réel et l’imaginaire, les sculptures du père et les dessins de la mère, l’art et les fêtes.

Il s’agit d’un recueil d’épisodes assez brefs – scènes ou anecdotes et, çà et là, petites histoires qui ressemblent à des fables – peuplés par la famille et la ménagerie du sculpteur, ainsi que par quelques figures pittoresques – telle Fanny, la vieille dame qui collectionne les cailloux, les coquillages et les animaux morts, allume le feu du sauna et chante pour appeler la pluie, ou « la vieille fille qui avait une idée ». Il s’ouvre bibliquement, en Paradis ou presque, sous le regard débonnaire d’un grand-père avatar de dieu – de chute, point, l’auteure ayant pris, entre autres licences heureuses, quelques libertés avec le texte sacré – et se ferme sur le récit d’une fête de Noël.