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Les Livres

Lettres volées, Roman d’aujourd’hui, suivi de 28 lettres de Robert d’Humières à Colette, Robert d'Humières (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Lundi, 31 Mai 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Correspondance

Lettres volées, Roman d’aujourd’hui, suivi de 28 lettres de Robert d’Humières à Colette, Robert d'Humières, ErosOnyx éditions, janvier 2020, 328 pages, 16 €

« Je pleure nuit et jour […] d’Humières »

Marcel Proust

Robert d’Humières (1868-1915) est un écrivain méconnu de la Belle Epoque, également poète, traducteur, essayiste, un familier de Proust et de Colette. Si son nom est parvenu jusqu’à nous, c’est surtout grâce à sa traduction, avec Louis Fabulet, du Livre de la jungle de Rudyard Kipling, toujours disponible de nos jours. Pourtant son œuvre, en plus d’autres traductions de Kipling, de Joseph Conrad, de James Matthew Barrie (l’auteur de Peter Pan) ou de Lewis Wallace (Ben-Hur), comporte aussi pièces de théâtre, recueils de poèmes, essais, ainsi qu’un roman, Lettres volées, Roman d’aujourd’hui, objet d’une nouvelle publication (la première remonte à 1911) aux éditions ErosOnyx, avec une préface d’Alain Stœffler, judicieusement accompagnée d’un dossier complet sur l’auteur (comprenant son dossier militaire), de repères chronologiques et d’une bibliographie sélective. Vingt-huit lettres inédites de Robert d’Humières à Colette complètent cet ensemble et l’éclairent.

Dans ta voix, tous les visages disent « Je », Serge Ritman (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 31 Mai 2021. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Dans ta voix, tous les visages disent « Je », Serge Ritman, éditions Tarabuste, février 2021, 156 pages, 15 €

 

 

Poétique de l’abstrait

Il m’arrive souvent de choisir, de décider parfois lentement de la bonne clé, d’une certaine clef que je puisse considérer comme le pivot du livre. Je dis « clé », mais il serait plus juste de dire : le dessin dans le tapis. Ou encore, parler d’une idée maîtresse. Ici, avec ce livre, je fus confiné à des impressions de scansions, de télescopages. Je n’ai cessé de ressentir un chaos, non parce que cette poésie serait confuse, mais au contact d’une certaine prosodie que l’on nommerait squelettique, pour paraphraser Jean Genet, d’éléments simples, architecturaux, presque en lutte. Est-ce le travail de l’écriture où se rencontreraient un parapluie et une machine à coudre ? Je ne sais répondre car je n’ai pas épuisé ma sensation.

La bonne histoire de Madeleine Démétrius, Gaël Octavia (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 28 Mai 2021. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Gallimard

La bonne histoire de Madeleine Démétrius, octobre 2020, 266 pages, 19 € . Ecrivain(s): Gaël Octavia Edition: Gallimard

 

Gaël Octavia évente un secret dans cet ouvrage : toute vie humaine est un roman. Si l’on raconte non pas ladite vie (illusion) mais ce que les autres savent, pensent, croient, imaginent à son sujet. En somme, si l’on rassemble peu à peu, posément, les multiples pièces du puzzle éparpillées dans la tête des uns et des autres au sujet d’une personne, on produit un roman. Nul ne peut connaître exactement et totalement la vie d’autrui. Nous compensons donc beaucoup au sujet des autres ; nous complétons de notre chef les pièces manquantes ou qui nous sont inconnues, nous déduisons, nous imaginons sans cesse parce que nous devons satisfaire en nous le besoin de compréhension et de cohérence à propos des autres.

La bonne histoire de Madeleine Démétrius est un titre à la fois exact et un peu trompeur. Exact parce qu’effectivement il s’agit bien d’un personnage qui s’appelle Madeleine Démétrius et d’un roman dont il est le fil conducteur. Mais le titre est aussi un peu trompeur parce qu’il s’agit, dans ce roman et quasiment à égalité, de beaucoup d’autres personnes en dehors de Madeleine Démétrius.

Le voyage de Nerval, Denis Langlois (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 28 Mai 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Le voyage de Nerval, Denis Langlois, éditions La Déviation, avril 2021, 232 pages, 18 €

Perambulation

Le séjour du narrateur Denis Langlois au Liban commence par le dit d’un poète arabe : « Ne sois pas fou comme les amandiers, ni sage comme les grenadiers ». Dès lors, « La montagne druze du Chouf » résonne de mythes ardents, ainsi que « ces vallées du Hauran à la fois humides et poudreuses où s’extravasent les rivières qui arrosent la plaine de Damas ». Comme dans Les Métamorphoses d’Ovide, des fleurs de sang, des « anémones écarlates », nées des amours enflammés d’Aphrodite et d’Adonis, poussent dans les vallées et les montagnes du pays du cèdre, en souvenir de leur passage. Le Voyage en Orient de Nerval fait écho au voyage de Denis Langlois, un séjour hanté par des écrivains prestigieux, façonnant un « Orient (…) encore magique ». Le tutoiement est la voix d’adresse au grand poète décédé tragiquement, dont la présence se dédouble, s’invoque, se décante en un tutoiement admiratif, compassionnel et aussi critique. Plus concrètement, le tu interpelle la complicité du poète. L’emploi du « tu » est parfois motivé par une notion de solidarité sociale, mais également par une locutionalité de type proverbial, et une formule en « Appel aux citoyens » évoquant le tutoiement « républicain », tentative échouée de suppression du vouvoiement lors de la Révolution (voir Brunot, 1967).

Lauzes, Angèle Paoli (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 27 Mai 2021. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Al Manar

Lauzes, mars 2021, 124 pages (préface Marie-Hélène Prouteau, Ill. Guy Paul Chauder), 20 € . Ecrivain(s): Angèle Paoli Edition: Al Manar

 

Voilà un ouvrage qui déroge à l’ordinaire des publications et le titre sans doute étrange en dresse une porte d’entrée insolite. Les lauzes, entre vert et gris, qui peuplent certaines toitures, servent de petites pierres pour accueillir ici chacune des découvertes romaines ou autres qu’un regard d’observatrice experte propose. Un rien entomologiste, visant à scruter à la manière d’un insecte le monde ambiant, la nouvelliste prend son temps pour trouver les beaux et bons mots aptes à restituer lumière, éclat, souvenirs.

Particulièrement beaux, les deux récits (Ponte Mammolo, Centrale Montemartini) qui nous mènent aux confins pasoliniens de Rome : Via Ostiense ou vers Tivoli, dans un endroit pas possible où il faut patience pour se trouver un bus, un train, mais où la solidarité sert parfois et heureusement de monnaie d’échange. On retrouve là l’esprit pasolinien des terrains vagues, des rencontres fortuites, d’une Rome populaire et quasi oubliée, loin du centre, aux confins de la ville. Angèle s’y trouve à son aise, dans la description précise de ces lieux désordonnés, bouillants de vie, incommodes et vrais.