Dante, Alessandro Barbero (par Sylvie Ferrando)
Ecrit par Sylvie Ferrando 02.07.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Italie, Flammarion
Dante, Alessandro Barbero, février 2021, trad. italien, Sophie Royère, 480 pages, 28 €
Edition: Flammarion
L’année 2021 est le 700e anniversaire de la mort de Dante, le « Poète florentin », homme d’affaires, homme de lettres, homme politique, homme passionné, qui écrivit, après Vita Nuova – roman inspiré de sa vie, qu’il rédigea entre 25 et 30 ans et dans lequel il reconstruit au printemps 1274 sa rencontre avec Béatrice, âgée de 8 ans et portant « une petite robe rouge sang » –, qui écrivit, après des traités comme le De vulgari eloquentia et Le Banquet, tous deux composés en 1304, année de la naissance de Pétrarque, et en même temps que le traité La Monarchie en 1310, l’une des œuvres patrimoniales les plus mondialement célèbres : La Comédie, plus connue sous le titre de La Divine Comédie.
Né en mai 1265, Dante (ou Durante) est issu d’une de ces riches familles d’usuriers de Florence, les Alighieri : il est Dante Alighierii, ou Dante di Alighiero degli Alighieri, l’un des Grands, des magnats, proche de la noblesse florentine. Il est le fils aîné d’un homme d’affaires décédé alors qu’il était encore un très jeune enfant. Dante et son frère Francesco sont assez riches pour vivre des rentes de leurs propriétés terriennes.
Dante n’aurait peut-être pas écrit sa célèbre trilogie s’il était resté toute sa vie à Florence. La Divine Comédie est pour lui un voyage initiatique, rétrospectif tout autant que géographique. Il n’aurait pas non plus écrit son œuvre la plus connue s’il n’était pas tombé amoureux de Béatrice Portinari (ou plutôt de Bice de Folco Portinari), déjà mariée à messire Simone de Bardi, riche banquier, lorsqu’il la rencontre, et morte à l’âge de 25 ans, le 19 juin 1290. Son amour terrestre pour Béatrice durera sept ans. Si écrire Vita nuova lui permit de faire son deuil, écrire La Divine Comédie lui permit d’idéaliser le souvenir de Béatrice.
Pourtant, Dante épouse Gemma, fille de messire Manetto Donati, probablement en 1293, alors qu’il a 27 ans, mais Boccace (né en 1313) affirmera que Dante était si peu heureux avec sa femme qu’il profita de son exil pour ne plus jamais la revoir.
A 30 ans, Dante participe à la vie politique de la ville de Florence, après s’être jeté « à corps perdu dans les études ». Il prend part au conseil général de la commune, se fait nommer au Conseil spécial du Capitaine du peuple, puis au Conseil des Cent. Il appartient au parti des Guelfes (partisans de la papauté, représentée par le pape Boniface VIII) contre les Gibelins (partisans du Saint-Empire romain germanique, c’est-à-dire de la descendance de l’empereur Frédéric de Hohenstaufen). Au sein des Guelfes, il opte pour le camp des Blancs, dirigés par les Cerchi, banquiers nouvellements enrichis, proches du peuple – il est « le représentant d’un régime qui avait comme objectif principal de défendre le peuple de la violence des Grands » –, contre les Noirs, dirigés par les Donati, d’ancienne noblesse, qui défendent des valeurs plus élitistes ou ségrégationnistes. A Florence, les magnats ou chevaliers ainsi que la riche bourgeoisie se partagent entre les deux factions. Mais la corruption était le cauchemar de la vie politique italienne et Dante la stigmatisera avec rage dans L’Enfer (chants XVIII à XXX), où les trafiquants et concussionnaires nagent dans la poix bouillante, au 8e cercle de l’Enfer où sont punis les fraudeurs. A la suite de discours et d’actions politiques ayant mis en cause Boniface VIII et les Guelfes Noirs, Dante est condamné en 1302 au bannissement, avec plus de six cents de ses compatriotes. Les propriétés de Dante sont dévastées par les Noirs puis seront administrées par la ville. La violente rupture avec les Blancs est évoquée au chant XVII du Paradis, lorsque Cacciaguida lui décrit l’avenir : il devra quitter Florence, où l’on intrigue déjà à ses dépens. Ainsi, en l’absence d’archives fiables sur la période de son exil, Dante nous offre dans La Divine Comédie une version autographe de sa vie, en particulier par la bouche de Cacciaguida, aïeul de Dante, rencontré au Paradis dans les chants XV, XVI et XVII.
En effet, Dante ne reviendra jamais à Florence et séjournera, pendant ses presque vingt ans d’exil, d’abord à Bologne, puis dans l’Apennin, chez les marquis Malaspina, près de Gênes, où vraisemblablement il commence à composer L’Enfer. Dans La Monarchie, son dernier traité, rédigé à la même période, il se fait partisan de l’empereur Henri VII, comte de Luxembourg, reniant quelque peu ses engagements initiaux. Il sera ensuite accueilli à Vérone, où il est l’hôte de Cangrande della Scala, et enfin à Ravenne, où il séjourne chez le seigneur Novello da Polenta et où il meurt en septembre 1321. Les enfants de Dante (Giovanni, Piero et Iacopo, et une fille, Béatrice, devenue nonne), qui étaient très jeunes lorsque leur père quitta Florence pour toujours, le rejoindront, pour certains d’entre eux, à Ravenne.
Ecrite par un dantologue érudit, cette biographie est un travail d’archiviste, un ouvrage de recherche doté de notes abondantes, d’une bibliographie fournie et d’un index des noms propres. Il s’agit aussi de faire correspondre, année après année, la vie de Dante et son œuvre, vers par vers. Cette biographie est enfin un livre d’histoire qui dévoile la réalité de la vie sociale et politique menée à Florence au XIIIe siècle.
Sylvie Ferrando
Spécialiste d’histoire médiévale, féru d’histoire militaire, Alessandro Barbero a consacré plusieurs livres à raconter les grandes batailles, dont celle de Waterloo (Le Jour des Barbares) ou de Lépante (La Bataille des Trois Empires). Il écrit ici une vaste biographie de l’auteur de La Divine Comédie, Dante Alighieri, plus connu sous le nom de Dante.
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Rédactrice
Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère
Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais
Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil
Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.
Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.
Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.
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