Agencement du désert, Carole Mesrobian (par Philippe Leuckx)
Agencement du désert, mars 2020, 132 pages, 11 €
Ecrivain(s): Carole Carcillo Mesrobian Edition: Z4 éditions
Certains livres sont difficiles à cataloguer, encore faut-il qu’il soit nécessaire de procéder de la sorte. L’essai, sans doute, permet d’être seulement un texte, au sens plein d’une écriture de l’imaginaire. Y entrent de plein droit l’expression autobiographique, les traces de lectures, les rêves enfouis, le désir d’écrire.
Mêlant considérations biographiques, exploration du domaine de la femme, découverte de la Littérature et analyses précises des épigraphes de Stendhal, poèmes de l’auteure, le texte très polysémique de Mesrobian met en lumière le rôle de l’écrit, sa sauvegarde et son effet de catharsis.
Les pages émouvantes de la fille sur la mère (la non-mère), sur les avancées très relatives de la condition de la femme, plongent le lecteur dans une approche humaniste, partageable : l’enfance y a sa fonction (« la pulpe végétale de l’enfance »), « écrire c’est être libre » ou encore « l’Art est un corps qui respire ». Tissant sa recherche sur l’appui d’œuvres comme celles de Huysmans ou de Grünewald, Mesrobian affûte l’outil pour aboutir au travers de Michaux à cette « puissance incantatoire du cri ».
Être femme nous vaut une déambulation à travers les filiations, comme l’essayiste doit sa veine au dix-neuvième et à ses lectures. La génétique parallèle que l’auteure met en place éclaire la quête : « l’agencement du désert » ne serait-il pas, au-delà de l’escalade abrupte du réel, se forger enfin une naissance qui ne soit pas rebut ou déni.
Le long chapitre sur les exergues, lisibles selon Genette d’une triple manière, éclaire les liens essentiels qu’un auteur peut nouer avec son lecteur et des portes d’entrée romanesques ou simplement livresques. Toutes les références ne sont pas exactes chez Stendhal, mais son projet est d’influer directement par elles sur la lecture de l’ouvrage. Le lecteur ainsi conditionné ouvrira l’œil, sentira l’aune de la citation et du roman qu’il lit. Références à l’histoire ou non. La lecture ironique « invite le lecteur à relever ce qui de la fiction convoque le réel » (p.84). Le destin de Julien dans Le Rouge et le Noir est ainsi éclairé par les citations de Byron, Schiller, Shakespeare. Et le plus souvent annoncé ou commenté de façon ironique : en cela Stendhal est un moderne qui sait déjà jouer des effets de sens, du paratexte et de la fiction. Stendhal s’en donne à cœur joie pour railler ses contemporains, pour critiquer « une certaine littérature et le théâtre de boulevard » (p.102).
Carole Mesrobian nous dit en conclusion que « l’épigraphe sert à créer le lien entre la fiction et son appréhension réflexive, entre le particulier et le général » (p.106), et ce, à une époque, vers 1830, où le roman n’est pas encore un genre « codifié » ; l’épigraphe doit être alors considérée comme « hypertexte ».
Quelques pages de poésie clôturent cet essai bien instructif, qui a mené l’auteure à l’écrit, au poème.
Philippe Leuckx
Carole Carcillo Mesrobian, née à Boulogne en 1966, est une auteure française. Elle a publié, entre autres, Foulées désultoires (2012), et Aperture du silence (2019), et codirige avec Marilyne Bertoncini la revue numérique Recours au poème.
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