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La Une CED

Poèmes vernaculaires, Les Murray (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 19 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie, Océanie

Poèmes vernaculaires, Les Murray, éditions De Corlevour, août 2022, trad. anglais (Australie) Thierry Gillybœuf, 112 pages, 18 €

Des choses

Le sel actif qui persiste après la lecture de cette belle traduction très récente de Thierry Gillybœuf de Les Murray, le grand poète australien, c’est la combustion des mondes dans la poésie agissante en sa réalité mondaine avec son idiotisme, combustion qui implique le combustible de la langue elle-même, laquelle fige les choses, ou observe l’inertie des choses, transforme tout en chose. De là, une vision du monde extraordinairement complexe. Celle d’un poète parataxique, fait de fragments de compréhension et d’énigme. Une force surgit en tout cas.

 

L’infâme météorite est en route pour éteindre le monde,

c’est sûr. Mais regarde bien, et sa menace remplit ta journée.

Les braves ne meurent-ils qu’une seule fois ? Je pourrais le faire cent fois par semaine,

cramponné à mon pouls avec le bord du monde à portée de main.

Meurtres en modulation de fréquence, Albert De Morais (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 15 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Meurtres en modulation de fréquence, éditions Douro, septembre 2021, 336 pages, 21,50 €

Le roman policier d’Albert De Morais (dont nous révèlerons l’identité à la fin de la présente note) constitue une véritable réussite gastronomique par la composition savoureuse et pittoresque de ses ingrédients, sa fluidité narrative rehaussée d’un suspense et agrémentée de surprises appétissantes que l’auteur nous sert avec brio.

Nous suivons ici le parcours du narrateur Alban Guégan (connaissance mi-réelle mi fictive de l’auteur qui, d’ailleurs, apparaît lui-même dans cette histoire aux pages 103-109), trentenaire arrivé à Paris à l’âge de dix-huit ans, gérant de trois restaurants dans la Capitale après avoir exercé divers métiers, passionné de mener une vie intense et à cent à l’heure au contact de ses rencontres professionnelles et amoureuses. Confronté malgré lui au meurtre d’un représentant de l’Église déclenchant l’intervention de la DGSE (service de l’État placé sous l’autorité du pouvoir exécutif), Guégan nous entraîne au fil des péripéties et de sa vie aventureuse dans la réalité innovante et fébrile des années 1980 avec, en poche, une possible nouvelle carte à jouer pour se lancer une fois de plus dans une reconversion professionnelle via la création d’une radio libre dédiée à la Bretagne, aux Bretons qui en sont originaires et amoureux.

L’élève du philosophe, Iris Murdoch (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 14 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Iles britanniques, Roman, Gallimard

L’élève du philosophe, Iris Murdoch, Gallimard, 1985, trad. anglais, Alain Delahaye, 606 pages, 23,20 €

 

George et Stella McCaffrey rentrent sous une pluie battante, passablement ivres, d’un repas de famille. L’habitacle retentit de leur dispute lorsque l’accident se produit. Le véhicule dont George a pu s’extraire tombe dans le canal. Mais le mari a-t-il aidé l’engin à basculer dans les eaux troubles avec l’intention d’assassiner sa femme ? Le Père Bernard, témoin inattendu de la scène, en a peut-être une idée.

La question primordiale est pourtant celle-ci : pourquoi la colère de George est-elle devenue incontrôlable lorsque Stella a évoqué l’arrivée annoncée de Rozanov ? Et ce célèbre philosophe, ancien professeur de George installé aux Etats-Unis, revient-il dans sa ville natale pour écrire le livre de sa vie ou pour une raison plus obscure ? Ce qui est certain, c’est qu’il provoque l’émoi de toute la population de cette station thermale que le narrateur, parce qu’il tient à rester anonyme sous l’initiale de N., décide de nommer Ennistone. Ses habitants, des plus marginaux comme Diane, prostituée maîtresse de George, aux notables, se retrouvent hebdomadairement aux thermes. Ne pas paraître autour des piscines, bassins, cascades fait autant jaser qu’y paraître faussement serein ou mortellement contrarié. Rozanov s’y montrera-t-il ou préfèrera-t-il prendre les eaux dans l’une des chambres dont peuvent disposer les baigneurs désireux de discrétion ?

Le miel et l’amertume, Tahar Ben Jelloun (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mardi, 13 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le miel et l’amertume, Tahar Ben Jelloun, Folio, juin 2022, 257 pages, 7,80 €

 

A Tanger, au sous-sol de sa maison bourgeoise dont il a abandonné et quasiment condamné les niveaux supérieurs, un couple survit dans la précarité voulue, proche de la misère, d’une cave aménagée de façon rudimentaire, au rythme d’incessantes querelles sordides.

Le roman est fait de l’alternance régulière, en de courts chapitres, des voix, à la première personne, de ces deux personnages principaux, Mourad le mari et Malika l’épouse. S’y intercalent ici et là, épisodiquement, celles des fils, Moncef, émigré au Canada, et Adam, employé, marié et établi à Tanger. Intervient plus régulièrement celle, puissante, poignante, posthume, de la fille, Samia, dont le destin tragique, aux circonstances absolument occultées par les narrateurs alternatifs, y compris par elle-même, jusqu’au dernier quart du récit (ce qui entretient ainsi un suspense captivant pour le lecteur), a précipité la détérioration d’une relation conjugale déjà fortement dégradée au moment où se produit ce que chaque protagoniste n’évoque jamais plus précisément que par cette expression unique et pudique : « la tragédie ».

Poétique du silence, Stefan Hertmans (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 12 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie, Gallimard

Poétique du silence, Stefan Hertmans, Gallimard, Coll. Arcades, mai 2022, trad. néerlandais, Isabelle Rosselin, 132 pages, 13,50 €

 

Bruissement

Qu’est-ce que le silence tout d’abord ? Fonctionne-t-il comme un impossible bruissement ? Quel rôle tient-il au sein du poème, celui de Paul Celan notamment ? Quelles en sont les conséquences ? Quelle forme la littérature prend-elle dans l’exercice de cette mutité fondamentale de tout travail d’écrivain, celle de la page blanche ? Le silence est-il borné par l’aphasie, par les voix sourdes du poète ? Toute littérature n’est-elle pas une relation, un échange entre le mot et l’absence de mot ? Et pour l’écrivain est-ce une dysphasie fondamentale qui hanterait la création littéraire, donc une sorte d’arrière-monde de langage invisible ; un langage qu’il faut trouver au sein de la vaste fureur de la langue ? La page écrite n’est-elle pas par définition un espace sourd, sans voix, pour le lecteur à voix basse également ? J’ai déduit l’ensemble de ces questions de ma lecture de cette poétique du silence de Stefan Hertmans.