La Valise vide, Kaveh Ayreek (par Didier Ayres)
La Valise vide, Kaveh Ayreek, éditions L’Espace D’un Instant, février 2022, trad. du dari (Afghanistan), Guilda Chahverdi, 54 pages, 11€
Topographie
Disons, tout d’abord, que cette pièce écrite en dari ne tombe pas dans les clichés. Elle se déroule dans des lieux, qui, pour un simple lecteur, s’agglomèrent, agissent par coalescence. Sommes-nous dans un espace rêvé depuis l’Afghanistan, ou depuis l’Iran, ou encore depuis l’Europe ? C’est là que réside l’intérêt pour l’existence de ces quelques personnes, de ces quelques exilés. Car, au-delà de l’exil se trouve la souffrance. Des êtres déracinés, déterritorialisés, transplantés involontairement. Est-ce la terre natale qui envahit par vagues le lieu d’accueil où se trouve l’auteur (et surtout avec lui le lecteur ou le spectateur) ? Est-ce le désir d’être accueilli ? Est-ce la condition primaire de toute émigration ? Qu’en est-il de cette expatriation ? N’est-elle pas essentiellement un rêve de la terre originelle ? Il faut signaler aussi que ce livre est renseigné par la traductrice et par l’éditeur, même si le texte vaut pour lui-même sans autre explication. On sait donc qu’il s’agit d’une séparation, d’une coupure avec l’ascendance, du tiraillement du sang natif dans les veines de ces êtres de papier.
Nous sommes « quelque part en Iran ». Et les voix des personnages se situent dans un temps presque mythique, comme le sont autant les voix de l’éloignement, de la migration, du retour espéré mais par essence déçu, car le pays d’origine devient un lieu de fantasmes, de désir, quelque chose qui reste éloigné dans le temps, toujours différé et qui, par cette procrastination, devient impossible. C’est ce genre de question que l’on se pose au milieu de cette simple tragédie cathartique.
Bien sûr on devine aussi les déplacements forcés, lesquels agissent sur la psychologie du réfugié. Nous sommes dans une dramaturgie plus lyrique que naturaliste, et le sujet de la pièce, la relégation, le bannissement, s’en trouvent mieux éclairés par la poésie que par la relation de faits réels. On flotte donc dans la mémoire, dans celle du proscrit, de l’expatrié. Et l’interrogation porte plus sur les racines que sur l’identité, ce qui est original et évite les clichés.
Quand un frère vend son frère
Quand un frère vend sa terre
Quand il reçoit ces mêmes frères à sa table, garnie abondamment grâce à l’argent de leurs crimes
Alors ce peuple n’est plus le peuple qu’il a été.
Cette terre est une jungle qu’il faut fuir
Tu dois t’éloigner de cette terre
Plus loin tu iras et mieux ce sera
D’autre part, nous ne sommes pas non plus dans un théâtre politique ou militant. On reste dans la perspective de l’attachement devenant impossible par le sens même du déracinement, celui d’une autre sphère culturelle et linguistique à laquelle l’émigré doit à la fois son salut et sa perte, son accueil et son acculturation.
Ainsi, on comprend excellemment ce qui attache les personnages de cette pièce : le goût sucré du raisin Hérat, ou celui métaphorique des jardins spirituels de Ghazni.
Les jardins spirituels
De Ghazni la majestueuse
La patronne des arts, l’élégance des règnes
Pérennité sereine
Quoi qu’il en soit, on ressent la tristesse de cette condition, celle de la perte, du manque, du rêve sans issue. On ne quitte pas les abandonnés et on vit leur tristesse, leur désespoir, une espèce de saudade lusitanienne, dans le souffle dramatique de la mélancolie et de l’angoisse.
Didier Ayres
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