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La Une CED

En UN seul regard, par France Burghelle Rey

Ecrit par France Burghelle Rey , le Mercredi, 03 Février 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Comme est en nous la poésie en moi est un regard est une foi En moi ce mystère d’écrire et de vivre poésie comme l’amour je définirai l’impossible jusqu’au bout de mes doigts qu’à fleur de peau déjà je sens comme j’effleure ce rosier au début de l’automne Je dis qu’on n’aime pas sans fleurs A l’heure où j’écris blanchit cette lumière qui semble ton regard Et ta vie est la Vie Je le dirai à tous ceux qui le savent à ceux qui ne le sauraient pas sinon grâce à ces mots

 

Avec le doute la peur et l’impossible à dire mais quand à me promener le long de ces arbres de cette rivière que j’aime j’arrive à me connaître, alors je te connais Et peu m’importe que tu m’aies à peine vue et à peine reconnue la beauté est plus forte et la tienne peut suffire celle qui me fait écrire née d’une seule seconde elle a nourri ma vie comme une graine prend racine C’est ma force au présent ma certitude mon je ne sais quoi

La main, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Vendredi, 29 Janvier 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

En décembre dernier, j’étais à Alger invitée à participer à un forum sur le roman, en allant nous promener à la Casbah, on m’a agressée et on a volé ma chaîne mais pas ma main (pendentif).

Au commencement, dans le surgissement du Verbe, dans le flot du tumulte des mots, une main ; sur ma nuque, une main qui pendant un instant, un court instant, exaltait l’agréable senteur de la douceur, de la bienveillance ; la sensation d’une caresse comme un baume sur la vie.

Puis…
De nulle part surgit une main ; une main échappée des profondeurs de la nuit ; une main empreinte de la noirceur du jour ; une main tendre, amicale, clémente qui se mua en un torrent de violence, s’empara de ma chaîne en or et blessa ma nuque ; les traces de ce rapt commis parmi la foule, dans le crépuscule du jour fuyant, un jour de bonheur et de quiétude, sont encore visibles, comme la trace d’une douleur vive qui éprouve un malin plaisir à faire durer le déplaisir du souvenir traumatisant.

Un lecteur adoubé (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 3

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 28 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Ecrits suivis

 

L’on a retenu surtout du chevalier à la triste figure – ainsi qu’on le nomme quand on cherche à donner dans la référence cultivée et partagée – sa folie et son projet de chevalier galant et errant au service de toutes les causes désespérément imaginaires, déjà anachronique en ces temps reculés.Non-spécialiste de l’œuvre, je découvre que Don Quichotte se construit lui-même comme un personnage de fiction, né de ses propres lectures. Nous voilà entraînés dans une fiction à double niveau : histoire d’un personnage qui s’invente un personnage. Une lecture démultipliée : celle d’un récit qui parle de lectures. Récit dans lequel le narrateur ne manque pas non plus de s’adresser au lecteur, plus ou moins directement. Le « procédé » (les guillemets s’imposent à moi car le mot pourrait renvoyer à un vulgaire « truc » pour se mettre le lecteur dans la poche, à une astuce stylistique et rhétorique plus ou moins indigne) est toujours séduisant pour le lecteur qui se sent associé à l’œuvre en train de s’écrire, a-t-il l’illusion, alors qu’il n’est qu’en train de la découvrir. Il nous donne l’agréable sensation d’être peut-être le seul destinataire de l’œuvre, il converse avec nous par-delà les pages, par-delà les siècles. Il est vrai que le lecteur que je suis, facilement un peu exclusif dans ses attachements livresques et littéraires (mais je ne dois pas être le seul) aime cette complicité qu’il a pu rencontrer chez Diderot ou Dickens, même s’il la sait illusoire.

La « Colognisation » du monde, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mercredi, 27 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

Colognisation. Le mot n’existe pas mais la ville, si : Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l’imaginaire de l’Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C’est ce qui définira au mieux le mot « colognisation ». Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés et le noyer par le nombre et la foule. C’est le pendant de « Colonisation » : envahir un pays pour s’approprier ses terres. Cela s’est donc passé dans la gare de la ville allemande du nom de ce syndrome, pendant les fêtes du début de la nouvelle année. Une foule des « Autres », alias maghrébins, syriens, « arabes », refugiés, exilés, envahisseurs, a pris la rue et s’est mise à s’attaquer aux femmes qui passaient par là. D’abord fait divers, le fait est devenu tragédie nationale allemande puis traumatisme occidental. « Colognisation » désigne désormais un fait mais aussi un jeu de fantasmes. On y arrive à peine à faire la différence entre ce qui s’est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias. Les témoignages affluent, mais les analyses biaisent par un discours sur le binôme Civilisation/barbarie qui masque le discours sur la solidarité et la compassion. Au centre, le corps, la femme, espace de tous, lieu du piétinement ou de la vie.

Dédicaces (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 2

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 23 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Ecrits suivis

Il est d’usage aujourd’hui qu’un auteur dédicace le livre qu’il publie, qu’il s’agisse d’un roman, d’un recueil de nouvelles, de poèmes ou d’articles, d’un ouvrage à vocation scientifique, etc. Chacun y va de sa petite dédicace à un parent, à des proches, à un maître… Et je parle bien ici de la dédicace qui est imprimée, pas celle griffonnée plus ou moins à la hâte sur un coin de table à l’occasion d’une présentation, d’une rencontre ou d’un salon du livre. On peut aussi trouver des remerciements, plutôt en fin d’ouvrage, à ceux qui ont rendu possible l’écriture et la publication de l’œuvre. Parfois il n’y a rien, ou presque rien, tant publier un livre semble devenu une chose somme toute ordinaire, banale. Combien de livres sont en effet publiés, exposés quelques semaines, pour finir par repartir au pilon ? Beaucoup. Trop. Notre temps a, il est vrai, érigé le gaspillage en art de vivre. Il n’en était pas de même au temps de Cervantès où publier un livre était réservé à bien peu, tout comme les lire sans doute. Etre édité relevait d’un privilège et nécessitait reconnaissance et protection, soutien. Imagine-t-on aujourd’hui une œuvre éditée devant rendre autant d’hommages et de remerciements, de dédicaces – pour nous, bien obséquieuses – que le fait Cervantès ? L’on rirait sans doute d’une telle flagornerie, espérant qu’au moins leur auteur le fait par dérision, par humour, craignant trop que la flagornerie ampoulée, hors d’âge et hors de propos, nous procure une honte étrange : celle du lecteur vis à vis du livre qu’il a entre les mains.