La « Colognisation » du monde, par Kamel Daoud
Colognisation. Le mot n’existe pas mais la ville, si : Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l’imaginaire de l’Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C’est ce qui définira au mieux le mot « colognisation ». Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés et le noyer par le nombre et la foule. C’est le pendant de « Colonisation » : envahir un pays pour s’approprier ses terres. Cela s’est donc passé dans la gare de la ville allemande du nom de ce syndrome, pendant les fêtes du début de la nouvelle année. Une foule des « Autres », alias maghrébins, syriens, « arabes », refugiés, exilés, envahisseurs, a pris la rue et s’est mise à s’attaquer aux femmes qui passaient par là. D’abord fait divers, le fait est devenu tragédie nationale allemande puis traumatisme occidental. « Colognisation » désigne désormais un fait mais aussi un jeu de fantasmes. On y arrive à peine à faire la différence entre ce qui s’est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias. Les témoignages affluent, mais les analyses biaisent par un discours sur le binôme Civilisation/barbarie qui masque le discours sur la solidarité et la compassion. Au centre, le corps, la femme, espace de tous, lieu du piétinement ou de la vie.
Pour l’agresseur, cela est clair : il vient de ces terres où c’est le sexe qui est un crime, parfois, pas le meurtre. La femme qui n’est pas « fille de », ou « épouse de », est un butin. Une possibilité de propriété. Un sexe à prendre. Un corps à emporter sur son dos vers la broussaille. Le spectacle de la femme libre en Occident n’est pas vu comme l’essence même de la liberté et de la force de l’Occident, mais comme un caprice, un vice ambulant, une provocation qui ne peut se conclure que par l’assouvissement. La misère sexuelle du monde « arabe » est si grande qu’elle a abouti à la caricature et au terrorisme. Le kamikaze est un orgasme par la mort. Et tout l’espace social est une prison du désir qui ne peut s’exprimer que dans la violence, la dégradation, la fuite vers d’autres terres ou la prédation et la clandestinité. On parle peu de la misère des sens dans les terres à turbans. Et paradoxe détestable, la sexualité, ce sont les islamistes qui se chargent de l’exprimer, la baliser, la coder ou la réduire à l’expression Hallal de la procréation. Tuant le désir par la posologie. Au point où c’en est devenu une véritable obsession dans le discours de prêche. Une sorte de libido-islamisme conquérant.
Mais la « Colognisation » a fait renaître le fantasme de l’autre menaçant dans un Occident qui ne sait pas quoi faire de nous et du reste du monde. Les faits tragiques et détestables survenus dans cette gare sont venus cristalliser une peur, un déni mais aussi un rejet de l’autre : on y prend prétexte pour fermer les portes, refuser l’accueil et donner de l’argument aux discours de haine. La « Colognisation » c’est cela aussi : une peur qui convoque l’irraisonnable et tue la solidarité et l’humain.
Kamel Daoud
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