En UN seul regard, par France Burghelle Rey
Comme est en nous la poésie en moi est un regard est une foi En moi ce mystère d’écrire et de vivre poésie comme l’amour je définirai l’impossible jusqu’au bout de mes doigts qu’à fleur de peau déjà je sens comme j’effleure ce rosier au début de l’automne Je dis qu’on n’aime pas sans fleurs A l’heure où j’écris blanchit cette lumière qui semble ton regard Et ta vie est la Vie Je le dirai à tous ceux qui le savent à ceux qui ne le sauraient pas sinon grâce à ces mots
Avec le doute la peur et l’impossible à dire mais quand à me promener le long de ces arbres de cette rivière que j’aime j’arrive à me connaître, alors je te connais Et peu m’importe que tu m’aies à peine vue et à peine reconnue la beauté est plus forte et la tienne peut suffire celle qui me fait écrire née d’une seule seconde elle a nourri ma vie comme une graine prend racine C’est ma force au présent ma certitude mon je ne sais quoi
Les visages qui te plaisent ont pour moi leur lumière Chaque lien est unique et le nôtre et les vôtres auxquels je ne porte pas ombrage Savoir qu’une vie à elle seule est un bonheur est une source de paix Il y a eu un jour un seul regard des deux côtés du mur de pierre quand Je égalait Tu depuis l’enfance De moi ou de mon double es-tu donc le jumeau ou bien sans doute des deux Peut-être aussi es-tu moi-même
Ne pas exiger plus car l’enfer est pavé de trop de ces désirs qui font retomber bas Je sais qu’à chaque printemps fleuriront encore plus tous nos buissons Je sais que ma campagne a souri autour de ta maison et bien plus verts sont au loin ses sous-bois Ils sont ces personnages étonnants d’une enfance qui avait peur du noir mais aimait les promenades les feuilles mortes qui craquent les branches qu’on écarte la mousse qu’on écrase
Aurais-je assez de cran pour y retourner seule ou m’accompagneras-tu Comme je l’ai revécue mon heure chien et loup J’ai plus de sensations que je n’en ai jamais eues et au-dessus des bois plus verts le ciel a maintenant d’autres roses Je n’ai plus le même âge ma joie n’est plus la même elle a les couleurs de ton nom et quand je me promène les plus vieilles chansons ont un air nouveau
Aujourd’hui j’ai marché jusqu’aux cabanes en pierre et descendu les marches pour voir au fond du puits Sur les eaux aucune ride seulement ton image qui bougeait doucement Je suis rentrée par ce chemin où tu voulais aller j’ai mis mes pas dans des pas inconnus et j’ai chanté comme si tu étais là Ce soir je tourne les pages de mon livre je me noie dans l’histoire et les odeurs d’orage sont celles de mon enfance
De mon alma mater ma terre nourricière Je ne l’abandonne pas pour voir jusqu’à la fin ses arbres pour sentir l’humus qu’aiment respirer mes mots Je suis portée par elle plus que par mon âge et si sagesse il y a c’est que je compte sur elle plus que sur mon travail Sur ma terre nourricière je plante le drapeau de mes larmes celui aussi des joies Et grâce à elle je t’offre tout ce qui m’arrive aujourd’hui
Je sens la terre chaude après les nuits d’orage Elle préserve mes rêves Ces rêves que je poursuis quand vient la nuit suivante et ne veux pas me réveiller quand toi tu n’es pas là pour que je te raconte Sais-tu que mon livre est sommeil que je le veux réel Au-dessus de mon lit il est fait d’herbes fraîches les étoiles sont mes lampes mon chevet est un tronc Je fais de la nature mon plus fidèle public
J’aime mon présent ce bel écho des choses passées comme le sont nos deux rencontres Si j’ai douté c’est que je n’avais pas pensé parler Le ciel pourtant était le même l’herbe était aussi verte Il y a te dis-je et chez toi et chez moi les mêmes hirondelles Il ne nous manquerait que la mer s’il n’y avait nos rivières pour faire valser nos yeux J’en ai le vertige à m’en rappeler l’odeur à la fois grise et jaune de bois et de soleil
Chaque jour que je vis allonge mon enfance Quand je regarde l’eau écoute les oiseaux sens les odeurs du matin l’heure est comme en arrêt ou mieux le souvenir la fait recommencer Qui parle de vieillir La cloche de l’église est celle de la petite fille sa robe bleue dans la lumière du jardin cheveux coiffés barrette mise c’est dans bientôt la messe peut-être y quêterai-je j’attends les autres filles Aujourd’hui à la sortie distribution du pain béni
Tu sais ce dont je parle plus que ces citadins Ta rue en contrebas reste une promenade La petite fille raccompagnait ses camarades je marche dans ses pas j’entends sa voix et c’est pourquoi je chante tout à la joie d’enfin parler Je ne compte plus les jours Je taille mon crayon et mon carnet est du même rouge et blanc et bleu est mon écran Peut-être un jour te montrerai-je l’atelier qui me rend immortel
J’entends le bruit du monde qui ne peut t’être rival car je cherche ta voix quand les chants des oiseaux me semblent étrangers Je veux être l’enfant que j’ai été si bien pour jouir de cette joie et pouvoir m’en souvenir Je sais que je le suis déjà si je sais t’écrire ça si mon chant fait écho à tes mots si mon visage dans le miroir est le miroir du tien Et nous nous reverrons pour jouer dans le village à nos jeux de jumeaux
Restent les tilleuls et le lavoir abandonné qui sont témoins de cet écho Ils sont une mémoire pour les soirs chauds de nos étés Dans l’air sans vent le temps semble le même et peuple ma solitude comme si n’existait pas l’absence Je nie tout éloignement en prononçant ton nom Il suffit à mes yeux de voir les mêmes beautés que toi et si le soir tombe il est pour nous égal Je poursuis cette route qui est comme le temps
Immuable fidèle et pareille à elle-même ma route m’accompagne Elle protège mon ombre qui la caresse Cette fois je m’arrête fais escale chez moi où l’hiver n’arrive pas et dans ma maison blanche l’herbe est encore verte Ma campagne se ressemble elle est comme la route et le temps Je t’offre le miracle de cette halte sans attente que je fais en silence et mon carnet fermé Aucun besoin de mots Là où tu as été la marche me suffit
Je vois le ciel je respire l’air ce ciel cet air qui ont vu nos regards Me taire tant que je reste et j’aime repartir pour parler de nouveau Mais quand le vide l’emporte que le soleil me brûle je n’ai plus qu’à attendre Toi ma joie je veux que tu sois à venir Je veux entendre cet écho et en parler encore quitte à ne bredouiller que sons désespérés Et loin des rêves d’enfant résonne la nuit l’alphabet des douleurs
No man’s land de la pensée à la dérive du quotidien le corps parle-t-il encore loin des bruits du jardin tant de rues tant de rues il crie avoue sa peur Membres démantelés au rythme du temps qui coule j’aimerais agir écrire un double temps pour une double vie étouffer du même coup l’angoisse de l’un après l’autre respirer libre comme le crayon se lève à la fin du mot à la fin de la ligne
Je marche désormais dans la ville pluie qui cache mon ombre et n’entends plus le refrain qui me faisait chanter Mais tapent contre mes tempes des notes grosses d’un deuil Je parle pour savoir ce qui manque à mes jours d’automne moi qui l’hiver n’ai jamais peur Tu vois c’est mon présent qui me porte vers l’avenir Je prends avec moi ces frêles souvenirs qui ont forgé ma force au temps où je t’ai su
Pourquoi regretter dans ma mémoire nouvelle le secret du jardin et son arbre centenaire Je marche dans la ville je marche sur ses ombres halos des réverbères sur les gouttes qui tombent et ces flammes de lumière aux façades des hôtels où je n’attends personne Ne passe pas le temps où la pierre protège le passant mais moi je passe sans toi je n’attends plus rien pas même mon retour au village
Ici tant d’êtres passent tant d’êtres que je croise Je cherche parmi les laids la beauté du regard parmi ceux qui sont beaux les lumières d’une âme Mais sans ma solitude je serais seule si seule comme Dickinson le dit Je l’appelle Emily dans le cœur de ma nuit Le soleil est si loin Quelle est cette comète qui en est le plus près Dis-moi son nom que je le mette dans mes rêves et me réveille avec lui sur mes lèvres
Ma poésie ma Rosetta et toi qui m’as fait changer en un regard de planète Je suis le contour de ce cercle que tu m’offres comme si c’était l’Eternité sans crainte de m’y brûler les ailes J’ai connu phœnix à mes heures tant de cendres que de renaître n’est plus une peur Il me suffit de voir dans tes yeux ces lumières dont je parle Pâles plus pâles que le soleil elles sont d’une blancheur étrange dont je suis fière
En un seul regard j’ai senti ma voix naître et dans mon bouquet tendu en un seul geste ma planète est devenue étoile ma maison est devenue la tienne Et moi aujourd’hui l’enfant que je suis voit revenir ses hirondelles Te souviens-tu quand nous courions dans nos jardins Je fouille dans mes cendres pour retrouver l’éclat de ton regard et trouver le sommeil avant de revenir entendre le chant du coq
C’est de voyage dont je veux te parler Mission de l’amour d’un poète ma pensée court plus vite que la lumière elle souffle et à tout vent sème vers nos bois Je n’ai plus peur de l’horizon depuis que notre rencontre a fait reculer les orages Ni les rafales ni les flocons ne m’empêcheront de retourner dans cet endroit où dans tes yeux j’ai entrevu la liberté Plus besoin n’est des illusions de l’avenir
France Burghelle Rey
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