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La Une CED

Black-out - A propos du livre "Le Célibataire" (The Bachelor) de Stella Gibbons

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Samedi, 09 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Le Célibataire (The Bachelor) de Stella Gibbons, traduit de l’anglais par Philippe Giraudon, éd. Héloïse d’Ormesson, 2016, 560 pages, 24 €

 

L’intrigue

Le Célibataire pourrait être un « roman réaliste », qui crispe et confine les êtres dans des registres de rôles sociaux répétitifs. Le temps historique, lui, est situé lors de la seconde guerre mondiale, ce qui donne lieu à des scènes pathétiques : « une mère fluette avec trois petites filles robustes et crasseuses qui grimpaient sur elle et entrechoquaient bruyamment leurs masques à gaz (…) laissant le bébé aux pieds nus et sales sauter sur sa robe fanée », ou surprenantes : « Alicia ne participait jamais à ces manifestations de zèle communautaire, et elle aurait laissé mourir d’une attaque une vieille dame… » Son habileté littéraire n’est pas sans rappeler celle d’autres très grandes romancières, Virginia Woolf ou Doris Lessing, car elle dissèque les us et coutumes de ses compatriotes, dont l’existence est régie par un « Principe du Bien ».

Dialogue depuis l’ailleurs - à propos de De la poussière sur vos cils de Julien Bosc

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 08 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

 

De la poussière sur vos cils de Julien Bosc, éd. La tête à l’envers, 2015, 13,50 €

 

Le livre que publie Julien Bosc aux éditions La tête à l’envers, est à la fois lumineux et plein de mystère, quand cette lumière vient justement de la qualité du mystère. En effet, les deux parties de ce poème grandement dialogué, sont dédiées à plusieurs personnes. Sont-ce là les enfants et l’épouse du poète ? On ne sait pas, mais on devine un drame violent qui inspire le poète, qui agit dans une sorte de dédoublement – voix de lui-même et voix de l’Autre – en une schize créatrice et capiteuse.

Peut-être endormie :

De plus en plumes (2) - Prises de bec, par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Vendredi, 08 Avril 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles, Ecrits suivis

 

Le docteur Brillet traversa le couloir de son service comme il traversait la vie : encombré d'hommages. Sa panoplie naturelle de baroudeur cheveux-gris-œil-vert-jade induisait chez le personnel féminin un frisson dont il se foutait, conscient de son homosexualité depuis l'âge de 15 ans.
Pour l'heure, il rassemblait son maigre courage pour entrer dans la chambre numéro vingt-quatre.
Il y resta peu de temps car les échanges avec la patiente s'avéraient problématiques : à quatre-vingt-sept ans allégés d'une mémoire intermittente, Elodie Parenty persistait à se souvenir avec acuité qu'elle haïssait le praticien. Aussi à l’heure de la visite désignait-elle la porte d'une royale main en mâchonnant "Je me porte très bien", et ne l'appelait jamais que "la libellule" : non pour ses préférences, par ailleurs insoupçonnées, mais à cause des pans de sa blouse trop grande qui ballotaient sur ses flancs, lui conférant ainsi des airs aquatiques.
Une infirmière résignée suivit de peu l'homme de l'art après un entretien très court ("J'ai  la patate, dégage") et entama la conversation d'une voix machinale. 

A propos de "Le cosaque de la rue Garibaldi" de Claude Gutman

Ecrit par Mélanie Talcott , le Vendredi, 08 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques

Le cosaque de la rue Garibaldi, Claude Gutman, Gallimard, février 2016, 224 pages, 16,50 €

 

Un livre simple qui raconte avec tendresse et ironie une histoire comme on en a tous dans nos familles. Ce qui en fait la particularité est sa judéité qu’elle refuse ou cache délibérément par peur qu’elle ne la stigmatise et ne la désigne pour de nouveaux crématoires. Au sein de cette famille, un seul résiste à ce déni collectif orchestré avec l’approbation de tous, un grand-père pouilleux qui s’obstine à ne parler que le yiddish et que son entêtement a rendu imperméable aux autres. Ancien boucher, peut-être a-t-il également été un cosaque, on ne le saura pas, il est l’idiot utile, celui qui fait bouillir la marmite, et le pestiféré de la famille, coupable d’être ce qu’il est comme ce qu’il n’est pas. Ses enfants le méprisent ou l’ignorent, sa femme l’honnit, préfère ses bonnes œuvres, et des années durant a pour amant le président de l’Amicale Israélite. Le quotidien de la famille brinquebale autour d’évènements que nous connaissons tous, mariages, divorces, ruptures, mensonges, problèmes matériels et anecdotes tristes ou drôles. Lorsque meurt enfin le vieil homme, tous n’ont qu’une hâte, celle de se débarrasser au plus vite de tout ce qui serait susceptible de l’évoquer, comme s’il n’avait jamais existé.

Résurgences sataniques (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 07 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

 

Le Prince des Ombres n’est pas retiré des affaires. A s’en tenir à ses réapparitions itératives dans la littérature ou le cinéma, il faut bien reconnaître que le vieux Belzébuth exerce encore effets de terreur et de fascination sur l’imagination des hommes. L’Eglise l’avait tenu à bout de bras pour dociliser ses brebis et, si elle a perdu de son influence, la civilisation de l’image l’a amplement remplacée. A icône, icône et demi. On peut penser que ce fonds de commerce du Diable n’a d’autre sens que… le fonds de commerce justement. Mais le Diable a suffisamment fait escorte à l’histoire des hommes, suffisamment assisté à ses crises, insisté sur ses failles et brisures pour que nous nous permettions de balayer ses prestations récentes d’un mépris trop hâtif. Cette résurgence du nocturne démonologique dans notre société des images doit nous interroger : l’ombre qui refait surface à la lumière des discours de la Cité questionne toujours. Surtout dans une époque, la nôtre, où la Cité pare ses langages de toutes les apparences de la rationalité scientifique et organise ses métaphores autour d’une technologie toute-puissante. Cette floraison d’images nous interpelle du lieu même de son grand et régulier succès auprès des publics occidentaux.