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La Une CED

Heureuse celle qui pleure l’amant perdu, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mercredi, 21 Septembre 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Alors qu’elle avance lentement dans les ruelles étroites et enchevêtrées à peine animées de la haute Casbah, une voix masculine sur fond de musique douce et lente s’échappe d’une demeure construite sur le point culminant de ce lieu qui, malgré son état de délabrement, ne se lasse pas de charmer et d’enchanter les âmes fuyantes. A l’heure du crépuscule maudit.

Soudain, elle a la vague impression d’entendre des chuchotements. Là… Derrière elle. Non… Non… Juste là… Devant son visage ébahi. Dans le creux de ses oreilles qui bourdonnent de peur. Des Bouts de récits. Des fragments de révélations à peine audibles. Susurrés… Vécus sur le chemin de jadis. Peuplé de secrets engloutis par les terres du couchant.

Là… Là… Sur les murs de cette grande maison ancestrale hantée par la malédiction. Oui ! Oui ! Sur la façade lézardée de cette  demeure qui abrite des êtres fatigués de vivre une existence en proie au désordre et à la déperdition. Et tout à coup, sur son corps assiégé par l’étonnement, une foultitude de mots. Qui tournent le dos à l’échec de cette tentative désespérée de donner un sens à cette vie en éclats. Des mots… des mots… des mots… Oui. Oui. Des mots. Ô malheur ! Les voilà qu’ils parlent une langue désarticulée. Son sens échappe à sa compréhension.

Mère (2), par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 21 Septembre 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

 

Ma mère était à moitié endeuillée.

Et cette anecdote est connue jusqu’en Allemagne.

Une production de la télé allemande.

Oui quelque chose sur le Tibet éternel.

Il y a eu une grève, des licenciements, une lutte pour conserver les postes de journalistes sur la chaîne, et puis, le chômage, les emplois précaires et ce monastère d’Annecy.

Ou sinon, une nuit de trop.

La mort.

Là, au milieu de la chambre. Notre mère qui regarde et qui voit le chat blotti sous le lit, et l’odeur d’urine, de vomi, cette lumière au plafonnier qui était restée allumée deux jours.

Ecoute.

Désert des îles (2), par Clément G. Second

Ecrit par Clément G. Second , le Lundi, 19 Septembre 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis, Création poétique

 

L’île absolue : la concision spacieuse de la terre.

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L’Île au Trésor : île précieuse, île-trésor.

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45. L’île aussi des rejetés, des réprouvés, des bannis et bagnards, prison à ciel et mer ouverts, à vie recluse : île qui lie de force et, à son corps défendant, par décret des puissants, île-lie.

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La minime maxime, consistant îlot.

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Le nid, rentré, inséré, tissu de tissus, partie prenante et part distincte de l’intimité dont il est le cœur et la promesse, n’est pas assimilable à une île car l’espace qui l’entoure ne l’expose pas mais l’enveloppe, converge sur lui, le creuse, le confirme et protège.

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Entretien François-Marie Deyrolle, éditeur de L’Atelier contemporain, par Philippe Chauché

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 16 Septembre 2016. , dans La Une CED, Les Dossiers, Entretiens

Entretien François-Marie Deyrolle, éditeur de L’Atelier contemporain à l’occasion de la parution de :

Au vif de la peinture, à l’ombre des mots, Gérard Titus-Carmel, préface Roland Recht ; Peindre debout, Dado, préface Anne Tronche, édition établie et annotée par Amarante Szidon ; Trente années de réflexions, 1985-2015, Alexandre Hollan, Yves Bonnefoy, préface Jérôme Thélot

 

« … j’aime la peinture, le dessin, la sculpture, la photographie ; je n’aime pas l’art contemporain », François-Marie Deyrolle

« Peindre l’impatience de peindre, le vertige de poursuivre continuellement son ombre », Gérard Titus-Carmel

« Un tableau qui a vraiment une vie à lui et qui est beau, c’est un tableau où il y a au moins une dizaine de tableaux, il a été dix fois terminé, et c’est la dixième fois qui compte, qui finalement rayonne de ces dix tableaux précédents qui sont effacés », Dado

« On sait beaucoup de l’œil et peu du regard », Yves Bonnefoy sur Alexandre Hollan

Dissoudre la femme : l’entreprise morbide du contre-nu, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 15 Septembre 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

Techniques du contre-nu. L’armée islamique de l’Irak et du Sham est objet de fascination. Comme le retour d’un vieux dieu sanguinaire, dans le sang des hommes. Daech tue, détruit, efface, nivelle et apporte le désert partout, avec la harangue et la mort. Dans le dos du monde « arabe » qui regarde la Palestine qui regarde les morts qui regardent, à leur tour, les vivants. Daech poursuit, délivre ses premiers passeports, organise des mariages collectifs ou des lapidations de femmes, invite à des jeux, coupe des têtes et des mains et édite des modes. Ainsi, sa dernière directive céleste : l’habit de la femme. Bien sûr. Car le corps de cette malheureuse est source du Mal, du vide, du néant. Comment réussir le contre-nu parfait ? Comment effacer la femme, ses traces, contours, voix, rires, courbes, ombres, yeux et prénoms ? Etrange courant de fond : il va de la Turquie où un ministre aux yeux perfides a déclaré que le rire des femmes est indécent, à Daech qui vient de publier son Daech-fashion : la femme doit porter une robe ample, noire, qui ne laisse pas deviner, en dessous, ni le corps, ni la courbe, ni les autres vêtements. Cette robe doit être sombre, volante pour mieux effacer la femme, de couleur noire donc, invisible ou seulement comme une tache. La femme doit aussi cacher sa bouche, son menton, ses lèvres et même ses yeux. Elle ne peut rire, ni sortir dans la rue sans un accompagnateur parent ou époux.