Orphée du fleuve, Luc Vidal (2) - Le poème, parole de la ferveur d’aimer
Le temps d’aimer a marqué les traits du visage d’Orphée. Luc Vidal écrit : « Orphée allait rejoindre les chiens du vent au bout des quais et à la prochaine halte, les quatre points cardinaux de la joie brilleront dans les bras de l’amour » (Orphée du Fleuve, éd. du Petit Véhicule, 1999). La traversée du fleuve vers la possibilité du bonheur – du Vivre, de l’Écrire – fait son partage des eaux sombres et des eaux claires, mais le large, toujours le Large, se met en route quoi qu’il arrive dans la navigation de « nous » prenant le cap – même déboussolés – vers le cœur du monde. Et l’inventaire des « paysages fabuleux », même lesté par « de longs mois d’absence au cœur du monde », par « les songes du diable de la dernière marée », par « les nuits sans amour les arbres arrachés », par « les tourmentes des mauvais rêves » – l’inventaire des paysages fabuleux reste au milieu de la tempête debout, lui-même en son pesant d’or mélangé, au final fabuleux.
L’inventaire de la vie que dressent les poèmes de Luc Vidal sur la table du bonheur et de la convivialité de la rencontre, rassemble les pièces éparses d’un puzzle composé de fragments de mémoire et de bouts d’espoir, construisant un présent riche de présences, créatif et fédérateur. La mémoire vertige de l’Autre passe par « le vertige de vivre (qui) passe par toi ». L’onde de marée vibre dans le Poème de l’Orphée du Fleuve, quand la mer prend tous ses affluents fertilisés depuis la source, jusqu’à l’estuaire du vertige où les lèvres de l’amour, « douce déchirure », ouvrent l’espace du désir.
Désir de la permanence, de l’amour durable, les allées du temps voient dans la poésie de Luc Vidal grandir l’arbre-de-vie démultiplié, dans l’altitude contrariée de « l’amour éclaté » quand s’inscrit l’absence sur la carte du cœur escorté par les oiseaux « venus avec leurs cris de démence », dans l’éblouissement du soleil quand retentit « la fantasia du sang ». La chevelure d’encre des paysages fabuleux, des « sentiers du ciel » au bout des doigts, et « les danses de l’ombre » toujours au coin de la rue folle de soleil enrobent le « rendez-vous des tendresses ». L’amour et le cœur partagé au-delà dénouent la gorge des sortilèges, l’horizon d’un futur à latitude libre sous le buisson ardent des « randonnées secrètes ».
« Les femmes sont les paysages fabuleux des rues
les chansons des mains la joie retournée du chagrin
l’amour échappé des sentiers du ciel
le feu jamais éteint des randonnées secrètes
les cinq saisons parfaites des amants défaits
le temps minutieusement rebelle aux désirs de jeu
le voyage des lèvres au fond des blessures
un grand journal sans nouvelles de ferveur
les cheveux embrouillés au matin blême
la gaieté du plaisir soudain ensorcelé
les danses de l’ombre au rendez-vous des tendresses
les violences que l’on fait au mur délavé
de longs mois d’absence au cœur du monde
des villes lumineuses mon amour éclaté
la revanche de l’eau sur les déserts de feu
les songes du diable de la dernière marée
la carte des envies qui me fait orphelin de toi
les ruches miel de l’infinie semence
les derniers sortilèges et je serai libre
les oiseaux sont venus avec leurs cris de démence
trouer les nuits sans amour les arbres arrachés
les tourmentes des mauvais rêves je ne suis plus
mais les rythmes merveilleux des ventres
les silences des récits parfumés
et les tentations chaudes pour les louanges de l’amour ».
(Les paysages fabuleux in Orphée du Fleuve, éd. du Petit Véhicule, 1999)
Le poète chante la femme, « Les femmes sont les paysages fabuleux des rues », l’amour ouvre ses paumes de l’espoir dans la durée des cœurs déraisonnables mais fidèles. La femme dans la poésie de Luc Vidal est geyser. Source. Eau douce. Conque d’où crie encore à l’oreille de qui écoute le voyage des amantes, des lèvres, des rivages de la plénitude du plaisir « aux désirs de jeu », au fond des blessures. La femme est poésie, née du ventre de la vie et donatrice de cette vie d’où remonte la parole (« je suis là par la volonté des ventres et la faim du monde »). « La poésie, écrit Luc Vidal dans le poème Lesanneaux du chagrin, est une femme bleue que l’on mange avec / des yeux de bêtes et leur sang devient comme le pollen / un printemps fabuleux ». Inspiratrice, muse du « sixième continent » (« et l’amour toujours l’amour l’amour / le sixième continent comme une rose de folie ») les femmes habillent les rues de l’existence et des traversées du poète, comme de leurs doigts elles revêtent la nuit d’habits lumineux. Dans Le bleu du quotidien, Cent mille façons de tes étreintes, La Fantasia, Le sixième continent et tant d’autres poèmes, bras démultipliés d’une même divinité nommée Amour, la poésie de Luc Vidal jaillit des « sources ardentes du désir », le cœur débordant à la coupe des lèvres, et son chant en l’honneur de la femme est louange, célébration, déclaration permanente d’amour. L’atteste admirablement le texte ci-dessous, en résonance dans le rythme avec le Requiem de Léo Ferré :
« pour le jaillissement de toi des bonheurs perpétuels
pour tuer les offenses et les chagrins de ferveur
pour ouvrir les saisons à la semence de leurs secrets
pour contraindre la pluie à sécher tes larmes
pour faire du vent l’anneau de ta vie
pour ce cœur débordant à la coupe de tes lèvres
pour les cartes de la chance du jour levé dans tes yeux
pour ton ventre rebelle qui rend jalouse la nuit
pour la tiédeur du lit amazone de tes plaisirs
pour ton regard perdu en avance d’un printemps
pour l’amour et l’amour de cet amour l’heure bleue dans tes yeux
pour tes sourires surréels je ne serai jamais Orphée
pour tes mains apprivoisant le silence et la douleur
pour ton corps familier qui berce ma vie
pour les vingt-cinq étoiles du cœur de tes années
pour ta voix de minuit au bout du voyage
pour ton sexe jailli aux sources ardentes du désir
pour tes visages qui prennent de douceur la folie
pour ta solitude quand ton amour est orphelin
pour l’imaginaire tendresse de tes idées
pour les couleurs de tes doigts la lampe céleste
pour tes lèvres femmes et la chair rose de l’intimité
pour l’amoureuse parole et le génie de tes gestes
Pour l’île du printemps la fantasia de son sang
pour ton sommeil léger tous les soleils
minuit
je t’aime ».
Murielle Compère-Demarcy
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