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La Une CED

Trois pièces, Marie Ndiaye (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Mardi, 07 Mai 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Théâtre

Trois pièces, Marie Ndiaye, Gallimard, avril 2019, 151 pages, 18 €

 

Le théâtre permet à Marie Ndiaye d’accéder directement à ce qui l’intéresse : la mise à nu de relations humaines inquiétantes dans une langue d’une majestueuse étrangeté. Les trois pièces rassemblées dans ce volume ne manquent pas de développer les thèmes chers à l’écrivaine : la solitude des êtres dans leur quête, l’impossible transmission d’une génération à l’autre, l’obscur désir de se soumettre ou de soumettre un autre.

Délivrance, créée en 2016 (1) est la plus « littéraire » des trois, au sens où tout le drame se dit et se joue dans un monologue épistolaire sans didascalies. Un homme travaillant au consulat d’un pays froid et lointain écrit neuf lettres à « Ma chérie », sa femme restée au pays :

Tu peux être tranquille à présent, et tu peux dire à notre enfant : sois tranquille, et je te demande aussi d’aller voir mes parents dès que possible et de leur dire : soyez tranquilles, grâce à Dieu.

Les Yeux d’Aireine, Dominique Brisson (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 07 Mai 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Les Yeux d’Aireine, Dominique Brisson, Editions Syros, janvier 2019, 269 pages, 16,95 €

 

Pourquoi Aireine tient-elle tant à se protéger derrière ces « petits remparts fragiles et essentiels » que sont ses paupières bordées de cils, pourquoi a-t-elle ainsi décidé de mettre son regard à l’abri du regard de l’Autre (« Ne jamais voir les gens en face, ne jamais plonger mon regard dans celui de l’autre, même en famille »). Que ou qui fuit-elle ? Que veut-elle à tout prix protéger ? Nous pouvons décider de fermer les yeux pour rêver ; pour ne plus voir la réalité en face ; pour voir une autre réalité. Ce garde-fou du regard qui se protège, est-il/sera-t-il enfermement ou salvateur ? Envol ou emprisonnement autarcique ?

Nous sommes tentés de rester un peu aux abords de ce livre avant de nous y plonger, ne serait-ce que pour prolonger l’énigme qu’il soulève dès sa prise en main : sa remarquable illustration de couverture ; ses lignes en exergue avertissant le lecteur de sa rencontre imminente avec un personnage atypique se promettant de garder ses yeux baissés, en toutes circonstances, pour ne pas voir, pour ne pas « se laisser surprendre », sauf « à tout perdre » ; l’annonce d’une plongée à la lisière du fantastique dans une pluie iconographique de coccinelle sur fond noir en quatrième de couverture, etc.

Poèmes de la mémoire et autres mouvements, Conceição Evaristo (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 06 Mai 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Poèmes de la mémoire et autres mouvements, Conceição Evaristo, éditions des femmes Antoinette Fouque, mars 2019, trad. portugais (Brésil) Rose Mary Osorio, Pierre Grouix, 208 pages, 16 €

 

Poème-sang

En dehors des considérations sociologiques et politiques, je voudrais ici consacrer quelques lignes à l’esthétique du recueil de Conceição Evaristo et de ses poèmes de la mémoire. Et en premier lieu souligner l’importance du sang, de la physiologie du sang et de sa métaphysique, voire de sa symbolique. C’est ce que j’ai le plus retenu. En effet, que cela soit le sang des menstrues, des blessures, ou la métaphore de la filiation féminine – mère/grand-mère/fille/petite-fille – le sang témoigne de la vie, de son expression à la fois douloureuse et cependant empreinte d’un mystère, ou bien d’une croyance religieuse.

Au reste, cette écriture relève en un sens de l’artisanat, d’un travail physique, qui permet à la figure de la forme en relation à la femme, de prendre corps et peut-être de revendiquer une essence. Et même si parfois on se situe politiquement au milieu de ce qui témoigne d’un Brésil marqué par les conquistadors de 1492, le poème touche notre monde d’aujourd’hui. Violence des favelas, violence faite aux métis et aux noirs, aux femmes pauvres.

Repose en paix, Aleilton Fonseca

, le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Et voici cette vieille pierre tombale, devant laquelle je me signe. Je viens seul pour cet ultime pèlerinage. Je suis de retour, après être parti si loin. J’étais las de cette longue fuite. Je me souviens encore de la tombe toute neuve, des inscriptions gravées dans le marbre, des bordures trahissant le travail de l’émeri. La pierre polie avec une méticulosité d’artisan portait une épitaphe sobre inscrite en creux.

À présent la pierre tombale est recouverte par la moisissure, la saleté délimite les formes ciselées d’un nom. Les lettres érodées m’émeuvent.

Ci-gît Clément, ce fut un adorable enfant.

Qu’il repose en paix.

1935-1950

Le Dernier cerisier, John Taylor (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 02 Mai 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le Dernier cerisier, John Taylor, éditions Voix d’encre, mars 2019, ill. Caroline François-Rubino, trad. Françoise Daviet-Taylor, 88 pages, 19 €

 

L’arbre

Le Dernier cerisier de John Taylor présente divers intérêts. D’une part, parce que ces poèmes courts – et en un sens de nature orientale, dans la mesure où l’art japonais par exemple ne travaille pas sur le motif, mais le réinvente à partir d’une observation préalable – ont cette qualité de simplicité d’expression, celle d’une littérature dense et légère. Du reste, que ce livre s’accompagne d’aquarelles – qui m’ont laissé l’impression de fluidité, avec parfois la rudesse de traits charbonneux – n’est pas indifférent à la relation que j’ai eue au poème. Ce recueil est à la fois gazeux, éthéré et paradoxalement tendu par des images obsessionnelles : celles d’un arbre. Un cerisier qui se décrit et se déconstruit comme dans le très fameux travail autour de l’arbre de Piet Mondrian, lequel est passé d’un pommier, à des formes régulières de carrés de couleurs primaires.