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La Une CED

Les Yeux d’Aireine, Dominique Brisson (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 07 Mai 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Les Yeux d’Aireine, Dominique Brisson, Editions Syros, janvier 2019, 269 pages, 16,95 €

 

Pourquoi Aireine tient-elle tant à se protéger derrière ces « petits remparts fragiles et essentiels » que sont ses paupières bordées de cils, pourquoi a-t-elle ainsi décidé de mettre son regard à l’abri du regard de l’Autre (« Ne jamais voir les gens en face, ne jamais plonger mon regard dans celui de l’autre, même en famille »). Que ou qui fuit-elle ? Que veut-elle à tout prix protéger ? Nous pouvons décider de fermer les yeux pour rêver ; pour ne plus voir la réalité en face ; pour voir une autre réalité. Ce garde-fou du regard qui se protège, est-il/sera-t-il enfermement ou salvateur ? Envol ou emprisonnement autarcique ?

Nous sommes tentés de rester un peu aux abords de ce livre avant de nous y plonger, ne serait-ce que pour prolonger l’énigme qu’il soulève dès sa prise en main : sa remarquable illustration de couverture ; ses lignes en exergue avertissant le lecteur de sa rencontre imminente avec un personnage atypique se promettant de garder ses yeux baissés, en toutes circonstances, pour ne pas voir, pour ne pas « se laisser surprendre », sauf « à tout perdre » ; l’annonce d’une plongée à la lisière du fantastique dans une pluie iconographique de coccinelle sur fond noir en quatrième de couverture, etc.

Poèmes de la mémoire et autres mouvements, Conceição Evaristo (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 06 Mai 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Poèmes de la mémoire et autres mouvements, Conceição Evaristo, éditions des femmes Antoinette Fouque, mars 2019, trad. portugais (Brésil) Rose Mary Osorio, Pierre Grouix, 208 pages, 16 €

 

Poème-sang

En dehors des considérations sociologiques et politiques, je voudrais ici consacrer quelques lignes à l’esthétique du recueil de Conceição Evaristo et de ses poèmes de la mémoire. Et en premier lieu souligner l’importance du sang, de la physiologie du sang et de sa métaphysique, voire de sa symbolique. C’est ce que j’ai le plus retenu. En effet, que cela soit le sang des menstrues, des blessures, ou la métaphore de la filiation féminine – mère/grand-mère/fille/petite-fille – le sang témoigne de la vie, de son expression à la fois douloureuse et cependant empreinte d’un mystère, ou bien d’une croyance religieuse.

Au reste, cette écriture relève en un sens de l’artisanat, d’un travail physique, qui permet à la figure de la forme en relation à la femme, de prendre corps et peut-être de revendiquer une essence. Et même si parfois on se situe politiquement au milieu de ce qui témoigne d’un Brésil marqué par les conquistadors de 1492, le poème touche notre monde d’aujourd’hui. Violence des favelas, violence faite aux métis et aux noirs, aux femmes pauvres.

Repose en paix, Aleilton Fonseca

, le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Et voici cette vieille pierre tombale, devant laquelle je me signe. Je viens seul pour cet ultime pèlerinage. Je suis de retour, après être parti si loin. J’étais las de cette longue fuite. Je me souviens encore de la tombe toute neuve, des inscriptions gravées dans le marbre, des bordures trahissant le travail de l’émeri. La pierre polie avec une méticulosité d’artisan portait une épitaphe sobre inscrite en creux.

À présent la pierre tombale est recouverte par la moisissure, la saleté délimite les formes ciselées d’un nom. Les lettres érodées m’émeuvent.

Ci-gît Clément, ce fut un adorable enfant.

Qu’il repose en paix.

1935-1950

Le Dernier cerisier, John Taylor (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 02 Mai 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le Dernier cerisier, John Taylor, éditions Voix d’encre, mars 2019, ill. Caroline François-Rubino, trad. Françoise Daviet-Taylor, 88 pages, 19 €

 

L’arbre

Le Dernier cerisier de John Taylor présente divers intérêts. D’une part, parce que ces poèmes courts – et en un sens de nature orientale, dans la mesure où l’art japonais par exemple ne travaille pas sur le motif, mais le réinvente à partir d’une observation préalable – ont cette qualité de simplicité d’expression, celle d’une littérature dense et légère. Du reste, que ce livre s’accompagne d’aquarelles – qui m’ont laissé l’impression de fluidité, avec parfois la rudesse de traits charbonneux – n’est pas indifférent à la relation que j’ai eue au poème. Ce recueil est à la fois gazeux, éthéré et paradoxalement tendu par des images obsessionnelles : celles d’un arbre. Un cerisier qui se décrit et se déconstruit comme dans le très fameux travail autour de l’arbre de Piet Mondrian, lequel est passé d’un pommier, à des formes régulières de carrés de couleurs primaires.

Les Péniches-restaurants, Histoire levantine (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 02 Mai 2019. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

1) L’homme fut arrêté au commencement de l’émeute. Etait-il ivre et avait-il provoqué les policiers casqués qui avaient bouclé le quartier à l’approche du couvre-feu ? Avait-il oublié ses papiers chez lui ? L’émeute débuta de façon banale. Un groupe de jeunes devant un café. Le patron voulant fermer. Les jeunes, un peu excités sans plus, résistant. La police stationnée à proximité intervenant sans ménagement. D’autres jeunes descendant secourir leurs camarades puis, traînant dans le secteur, les désœuvrés des banlieues pauvres toujours prêts à en découdre avec la flicaille. L’homme était-il un client du café ? Rôdait-il pour une chasse nocturne ? Il habitait un bel appartement dont une terrasse donnait sur le Fleuve. On ne savait pas qui le lui avait loué. Ni même s’il en réglait personnellement le loyer. Le quartier était cher. Hormis ses cours à l’Institut français, l’homme n’avait pas de revenus fixes. On le connaissait bien ou très mal. On se méfiait de lui. Il se prétendait écrivain mais l’enquête prouva qu’il n’avait rien publié bien qu’on découvrît dans son bureau une masse de manuscrits raturés et inutilisables. On disait qu’il avait vécu dans la cave d’un faubourg éloigné avant d’emménager dans son immeuble actuel. Il faisait souvent monter un garçon. Enfin, un ou plusieurs.