La Pièce du bas, Gilles Lades (par Didier Ayres)
À propos de La Pièce du bas, Gilles Lades, éd. L’Étoile des limites, juillet 2018, 52 pages, 10 €
Des maisons jusqu’aux oiseaux
J’ai fait chemin commun avec Gilles Lades et ses souvenirs d’enfance, que le poète consigne dans un petit opuscule des éditions L’Étoile des limites. Et ce chemin je l’ai parcouru physiquement depuis le séjour de l’écrivain dans son jeune âge dans trois maisons différentes, jusqu’à ses propos sur les oiseaux qui ouvrent en un sens sur l’âge adulte et qui ferment le livre. L’ouvrage relate une partie de la vie de l’auteur lotois, littérature qui se prête à l’identification et à rapprocher sa propre enfance de celle du poète. J’ai revécu moi aussi sans doute le profond ennui de l’enfant, ce temps qui pour lui se dilate et ne retient pour finir que des bribes d’images, des souvenirs troués, des fragments de la mémoire, qui on le sait est subjective. Cette relation entretenue avec sa propre biographie diffère d’âge en âge, et l’autobiographie n’est généralement qu’un regard posé a posteriori sur sa vie, et reste, en ce sens, une plastique, une sorte d’œuvre si je puis dire.
Ce qui frappe au reste, c’est quand même l’impression de distillation de la mémoire, une espèce de sentiment de catastrophe imminente et cependant différée, là aux limites du souvenir, sujet à la déploration, à la mort maintenant présente dans la proximité de la mémoration, du ressouvenir. La mort étant ainsi l’autre bord de la vie qui déjà bizarrement est proche de cet âge premier.
Dans ces tiroirs et sur le bureau, s’entassèrent les livres de classe, des cartes Michelin de différentes époques, des revues de sport et d’actualités, des romans et des récits d’exploration, des encyclopédies lourdes comme des madriers, et même une boîte à papillons exotiques, dont je m’inspirerais pour mes collections d’insectes. Il y eut aussi des albums de timbres.
Cet espace du temps d’hier, ce hic et nunc différé, tend vers une expression de l’empreinte, sorte de confession brève et forte de ce que fut la jeunesse, maisons abandonnées, écoles et leurs différentes fortunes auprès de l’élève Lades, monde à la fois plein et abandonné, abandonné et désert, un entretien avec son origine, espèce de flux discontinu de la narration, qui fait autant référence à la vraie enfance qu’au déroulement physique des saisons sur le plateau ou les vallées du Quercy du berceau. Le récit s’abolit donc dans la ressouvenance et lui fait un écrin, le recueille.
Alors que l’hiver progressait vers son cœur, d’autres oiseaux se présentaient : pinsons, verdiers, sittelles. Je découvrais les verdiers : le mâle à la livrée soulignée de jaune, son doux ramage entre plainte et chant. J’allai même, une année, jusqu’à en attraper trois ou quatre dans de petits pièges de grillage que l’on achetait au bazar et à les loger dans une grande cage.
Est-ce que cette petite enfance était vraiment si mûre, à la fois un espace de bonheur et encore un peu de mort, à proximité des éléments physiques du Quercy, enfance déjà absorbée par les paysages du Lot ? On ne sait pas. On reste simplement sur cette dernière impression confinant à l’angoisse – angoisse de la fin de l’innocence ? Car cette narration est celle du grand adulte et sème ainsi sa propre vision de l’homme fait et invite ainsi à philosopher – en même temps que l’on se projette dans le texte.
Didier Ayres
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