La Minute bleue de l’aube, Estelle Fenzy (par France Burghelle Rey)
La Minute bleue de l’aube, Estelle Fenzy, éd. La Part Commune, mai 2019, 120 pages, 13 €
Forte de dix recueils déjà parus, Estelle Fenzy a consacré une année à ces cent pages de « minutes » éclairant comme des flashs aube après aube. Proches par leur concision des haïkus deux ou trois textes occupent chacune des pages de ce nouvel opus.
Celui-ci s’ouvre sur une naissance, celle du jour, de la lumière et de la vie, pour se clore sur le vide, le silence et la mort. L’importance de l’écriture est annoncée d’emblée et les allusions métapoétiques seront récurrentes jusqu’à la fin :
Ecrire
Tenir ouverte
la bouche de l’enfance
Le poème permet alors « l’asile / à soi-même » ainsi que la voyance nécessaire après la nuit et la solitude ; l’aube est « une paix retrouvée » où est possible un dialogue avec « Nos morts, nos absents».
Dans leur concaténation et dans leur juxtaposition apparemment arbitraire les poèmes présentent des liens, souvent par association d’idées, que l’étude des champs lexicaux rend évidents. Sensations visuelles, mémoire, relations humaines – un « tu » apparaît : « Je t’écrirais sans cesse / pour que tu revives » – nature et cosmos adjuvants et « Aimer en novembre ». Autant de thèmes qui, par leur isotopie, enrichissent des fils conducteurs.
L’élan donné depuis le début peut paraître cependant freiné par l’obscurité : « Cette connivence / avec la nuit » qu’illustre une allusion au deuil d’une technologie toute contemporaine :
Sur mon téléphone
Ton dernier message
17 avril 2014
43 secondes
Parfois je l’écoute et je pleure
Je n’arrive pas à l’effacer
Un premier dialogue donc avec un être cher disparu. Mais une nouvelle génération va apporter sa joie : « Baby boy » a des chaussures trop grandes pour sa mère et réconforte (« Le bonheur / c’est le miel du goûter / sur tes lèvres ») celle-ci plongée dans ses sentiments de perte et de peur :
J’ai peur
que le manège s’arrête
qu’il faille achever les chevaux
Autant de petits textes de deux à six sept vers brefs pour lesquels brièveté et espacement ne sont pas arbitraires mais manifestent à la fois la légèreté et la gravité des sentiments exprimés. Souvent la musique des premiers mots se fait entendre comme les premières notes d’une symphonie et celle des derniers mots peut enchanter, à son tour, de très belles chutes.
Cette brièveté, paradoxalement, représente tout un monde :
Souvent
mes poèmes
tiennent dans une main
Humanité
de paume ouverte
Voilà ainsi un esprit de concision qui favorise les aphorismes de toute une philosophie :
Parfois
on ne saisit pas mieux le centre
que lorsqu’on est au bord
S’allie à cette versification et à cette mise en page la surprise d’images originales et de trouvailles qui égrènent les textes comme la poète nous y a habitués dans ses autres recueils. Ainsi nous enchante-t-elle avec, par exemple, « Acupuncture de la pluie », « le jour balbutie / en bleu et bleu » et « Elle est triste la pluie /Jamais elle ne retournera au ciel », ou bien un beau tercet comme celui-ci accompagné de sa chute :
Je me demande
où dorment les âmes
des morts en hiver
Il n’y a pas de nids dans les arbres
Cette tendresse des mots est le reflet de la nature propre à Estelle Fenzy qu’elle a pu exprimer, entre autres, dans son très beau recueil, Mère, où la maternité est magnifiée. On retrouve ici les merveilles de la naissance :
Chaque seconde
un enfant naît sur la terre
Jusqu’où ira son cri
Et l’on comprend à quel point le présent de l’écriture, à la naissance cette fois du jour, dans « l’éclat de l’instant » et en compagnie toujours des oiseaux, amis de ses mots et justement des enfants aussi, est le moment de grâce pour l’auteur :
Cet instant où j’écris
Ce moment de pure existence
Celui-là ne peut pas mourir
Une forme de sagesse permet à Estelle Fenzy de vivre pleinement le quotidien et d’en éprouver de la joie :
Que cuisine-t-on ce week-end
Une question une promesse
Un dimanche accordé
Midi rit aux éclats
dessus la table offerte
Ainsi la solitude peut-elle être combattue quand l’écriture est, de surcroît, vécue en symbiose avec la nature :
La rencontre
est là
dans ce paysage
qui te sait
puisque l’auteure n’hésite pas à dire : « être… une herbe parmi les herbes » et « Je suis l’eau vive / de mon ruisseau ».
Il y là une grande présence au monde qui ne doit pas faire oublier, celle plus grande encore, avec toute l’empathie nécessaire, à l’humanité souffrante :
Les hommes se déchirent
se partagent les terres
Il faut dire que l’écrivaine trouve sa rédemption dans la réalité autant, sans doute, que dans le rêve, compagnon fidèle des poètes :
J’ai rêvé
d’une chaumière
d’une forêt de brigands
d’une princesse en haillons
dans un hiver de neige
J’étais la neige
Un point de vue que confirmera l’excipit :
On rêve le silence
comme on rêve les rêves
On espère les faire vrais
On laissera le lecteur découvrir la suite du recueil chanté en leitmotivs sur ces topoï, mais il faut encore évoquer, pour mieux comprendre l’état d’esprit de la poète par rapport à son travail créateur, la confiance qui, désormais, l’anime après l’effort :
Je sais
que mon poème est beau
à cet oiseau qui chante
quand je ferme mon carnet
France Burghelle Rey
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