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Critiques

Barques renversées, Federigo Tozzi (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 16 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Italie

Barques renversées, Éditions La Barque, janvier 2021, trad. italien, et postface, Philippe Di Meo, 96 pages, 18 € . Ecrivain(s): Federigo Tozzi

 

Entre philosophie, psychologie de l’intime et aphorismes, le livre du romancier italien, disparu si jeune, propose une véritable sagesse, selon un regard décapant, toujours vrai.

L’âme – mot qui sans cesse revient le long de ces pages – connaît tourments, doutes, découragements, hésitations, et les pensées de l’auteur prennent la forme d’une étude très analytique, très clinique des soubresauts de ce cœur qui penche, qui pense, qui aime, qui doute.

Écrits entre 1908 et 1911, et partiellement parus du vivant de l’auteur, ces textes des Barques renversées avoisinent les cheminements spirituels des géants Pessoa et Proust, quasi à la même époque de gestation de leurs œuvres. Certes, aucun des trois ne connaissait les autres ; toutefois une parenté d’étude saute aux yeux. Aux intermittences proustiennes et aux cogitations multiples du Portugais répondent les pensées de Tozzi.

On est frappé par le caractère à la fois incisif et compulsif de ces notes qui dépiautent l’âme, mettent à nu les plus intimes pensées, révèlent une intelligence et une acuité de haute lice.

King Zeno, Nathaniel Rich (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 15 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Seuil

King Zeno (King Zeno, 2018), Nathaniel Rich, Seuil Cadre Noir, septembre 2021, trad. américain, Camille de Chevigny, 427 pages, 21,90 € Edition: Seuil

 

La Nouvelle-Orléans meurtrie, bouillonnante, est la seule véritable héroïne de ce roman taillé comme une passionnante monographie noire. La période racontée, à peu près 1918-1920, fait se croiser l’Histoire réelle et les histoires fictionnelles (vraiment ?) comme la trame d’une narration serrée, prenante, souvent vertigineuse. Les traumatismes de la grande guerre – les cauchemars peuplés de tranchées et de corps déchiquetés, les désordres mentaux – la Ville qui naît au modernisme dans une agitation mafieuse grandissante (le Grand Canal du Mississippi au Lac Pontchartrain est en construction), la Grippe Espagnole qui frappe la ville de ses vagues meurtrières et le Jazz (Jass) à sa naissance aux sons des cornets et des pianos des gamins Louis Armstrong, Drag Nasty et Funky Butt.

Nathaniel Rich dynamite toute notion pré-acquise de « roman noir » et propose une ode à la modernité, ses grandeurs et ses ravages. Dans une langue rugueuse et syncopée – scandée par les sons – il invente une véritable mélopée sombre qui porte les drames d’une ville et d’une époque.

La Nuit tombée, Antoine Choplin (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 13 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Points

La Nuit tombée, 128 pages, 5,70 € . Ecrivain(s): Antoine Choplin Edition: Points

Gouri, écrivain public à Kiev, décide de revenir sur les lieux de son ancienne vie, à Pripiat, afin de récupérer un objet auquel il tient tout particulièrement ; il prend néanmoins le temps de s’arrêter à Chevtchenko en cours de route, pour y retrouver des amis restés sur place, Vera et Iakov.

Le propos de ce roman est très simple, mais à l’intérieur de ce propos, Antoine Choplin nous décrit une réalité grise, atrophiée, et cependant profonde. S’il devait faire l’objet d’une adaptation cinématographique, nul doute que le film serait économe en dialogues, et ponctué de regards expressifs et de silences pleins de signification.

Sous une apparence majoritairement descriptive, tandis qu’on suit l’itinéraire de Gouri à bord de sa moto, le livre nous parle de l’impossibilité d’un exil, de la volonté opiniâtre à rester sur les lieux où l’on a toujours vécu et que l’on persiste à vouloir rendre vivants, même quand une catastrophe comme celle de Tchernobyl voudrait tout faire cesser. À ce titre, l’histoire de la vieille dame à Ritchetsya, racontée par Iakov, a toutes les caractéristiques d’une histoire qui a vraiment pu se dérouler. Mais cette impossibilité de l’exil, plus qu’exprimée, est personnifiée par Gouri lui-même : en dépit du fait qu’il a su se recréer une vie à Kiev, il décide de prendre des risques inconsidérés pour avoir le simple privilège de reposer les pieds chez lui, et de récupérer un objet cher à son cœur.

L’art de naviguer, Antonio de Guevara / L’art de faire naufrage, Pierre Senges (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Espagne, Récits

L’art de naviguer, Antonio de Guevara, trad. espagnol, annoté, postfacé, Catherine Vasseur / L’art de faire naufrage, Pierre Senges, éditions Vagabonde, avril 2021, 208 pages, 18,50 €

 

« La galère offre à celui qui s’y embarque le privilège d’être privé de conversation féminine, de mets délicats, de vins odorants, de parfums stimulants, d’eau fraîche et de bien d’autres délicatesses semblables qu’il pourra désirer à loisir sans jamais pouvoir en jouir » (L’art de naviguer).

« … les écrits de Guevara s’affranchissent continûment du devoir de vérité que lui imposait, en principe, son statut de lettré. Les manquements à la vérité deviendront du reste sa signature la plus éclatante dans la mesure où ils assureront sa renommée d’auteur indigne » (L’art de galérer).

Antonio de Guevara est secrétaire personnel et homme de confiance de Charles Quin, empereur d’Espagne depuis 1520, prédicateur royal, historiographe, lorsqu’il fait publier en 1539 L’art de naviguer, l’Arte de marear en castillan. Le siècle d’Antonio de Guevara, est d’or (1) depuis 1492, comme son style brillant, piquant et ironique.

Amour profane, amour sacré, Iris Murdoch (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 08 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Gallimard

Amour profane, amour sacré, Iris Murdoch, L’imaginaire Gallimard, 1978 (réédition janvier 2015), trad. anglais, Yvonne Davet, 450 pages, 11,50 € . Ecrivain(s): Iris Murdoch Edition: Gallimard

« La vie est absurde et en grande partie comique.

Là où la comédie fait défaut,

ce que nous avons,

c’est le chagrin, pas la tragédie ».

 

Tandis que dans sa villa de Locketts, Monty Small, riche et célèbre romancier, est absorbé par la souffrance du deuil de son épouse Sophie, tout semble tranquille chez ses voisins, les occupants de Hood House.

Là, David traverse les affres de l’adolescence, sa mère Harriet comble son besoin de câlins qu’elle n’ose plus lui prodiguer en adoptant régulièrement un chien abandonné, son père Blaise y exerce le jour la psychologie et se détend le soir par une lecture familiale rituelle et la réparation de menus objets.