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Critiques

L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 22 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Plon

L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan, août 2021, 265 pages, 18 € Edition: Plon

 

Peut-on radiographier la haine, disséquer les mécanismes du racisme avec une rigueur quasi scientifique ?

C’est à ce voyage, lugubre, à travers l’histoire du phénomène du racisme que nous convie Arnaud Rozan. Dans le roman, Sydney, un jeune adolescent noir, commet l’erreur fatale de céder à son désir pour deux jeunes filles blanches ; celles-ci provoquent sans scrupules ni le moindre regret le massacre de sa famille en l’accusant de viol. Ce qui frappe tout au long des pages de ce roman, c’est la précision des descriptions, la décomposition des actes et gestes, la distanciation avec le côté dramatique et cruel des situations décrites. Ainsi, Arnaud Rozan évoque-t-il la pendaison de deux jeunes filles, Ella et Eulma, par un rappel historique : « Certaines contrées sont maudites par le sort. Le sang s’y verse à doses régulières, comme une rivière sort périodiquement de son lit et se transforme en coulée de boue. La fureur des hommes revenait faire trembler cette terre, où avaient déjà succombé des milliers de soldats dans un fracas de sabots ».

Madame, Gisèle Berkman (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 21 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Arléa

Madame, Gisèle Berkman, éditions Arléa, Coll. 1er mille, août 2021, 392 pages, 20 € Edition: Arléa

 

Est-elle ange ou démon ? Persécutée, spoliée ? Ou malade, paranoïaque, invasive ? Cachée au monde par peur du scandale, de l’aveu d’une faute ? Personne ne le sait, pas plus elle, au service de « Madame », patronne tyrannique et blessante, aux divers visages, que les personnages gravitant autour de ces deux vestiges perdus dans le grand appartement parisien. Madame et la bonne, son souffre-douleur, son faire-valoir, son repoussoir :

« Rencontre-t-on les yeux de Madame, que l’on se retrouve hameçonné de terrible manière, fretin et qui doit résister ferme pour ne pas se trouver sorti de l’eau par cette canne à moulinet qu’est son regard. A peine sortie de l’eau, elle vous y rejette – c’était juste pour montrer son pouvoir, conseiller de ne pas s’y frotter, ne pas affronter. Désormais, on se présentera à elle tête baissée. Avec le temps, je me fortifie, préparant le moment où je pourrai moi aussi la soulever de terre » (p.122).

Le Purgatoire, Pierre Boutang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 20 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Le Purgatoire, Pierre Boutang, éditions Les Provinciales, mars 2021, 430 pages, 30 €

La plupart de ceux qui connaissent le nom de Pierre Boutang l’ont appris grâce aux deux émissions – et au souvenir lumineux qu’elles ont laissé – du magazine télévisé Océaniques, diffusées en octobre 1987. Peu habitué à ce genre de prestation, Boutang y apparut comme un personnage bougon, concentré et ramassé en lui-même, sur la défensive, face à un George Steiner volubile et très à l’aise.

Au début de la première émission, l’animateur – Michel Cazeneuve (1942-2018), lui-même écrivain et spécialiste de C. G. Jung – demanda à ses invités de se présenter réciproquement (ce passage ne figure pas dans la transcription publiée chez Lattès, Dialogues. Sur le mythe d’Antigone, sur le sacrifice d’Abraham, 1994). Steiner qualifia Boutang de « maître d’une certaine solitude, très altière, et qui de temps à autre permet la provocation d’un intérêt passionné ». De son côté, préfaçant la mise en livre de ces entretiens, Boutang écrira : « Le dialogue avec George Steiner, initié dans les années quatre-vingt, comment pourrait-il cesser ? Il m’arrive d’imaginer qu’il se prolonge, et s’accomplit, au Purgatoire, sans que j’aie à prouver l’existence de ce lieu ultime, ni en quel sens c’est un lieu, autrement que par l’étrangeté et la pérennité de notre rencontre ». L’allusion théologique n’est pas gratuite et les termes employés par Steiner – solitude altière – définissent à merveille Le Purgatoire ; non le dogme, mais le livre qui porte ce titre.

Perturbation, Thomas Bernhard (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 17 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Gallimard

Perturbation, Thomas Bernhard, trad. allemand, Bernard Kreiss, 220 pages, 9,50 € . Ecrivain(s): Thomas Bernhard Edition: Gallimard

 

Sombre journée ! Sombres pensées auxquelles est livré le narrateur ! Sombre tournée que, jeune étudiant autrichien, il effectue avec son père, médecin de campagne, qui l’a invité à l’accompagner dans l’itinéraire tortueux et bourbeux de ses visites habituelles à des patients repoussants dont l’état de morbidité, l’existence bornée, le rapport au monde, le mal-être latent, la méchanceté naturelle et les propos décalés plongent le lecteur dans un malaise permanent, oppressant et… prenant.

« Maintenant, dit [mon père], il emmenait plus souvent son fils, c’est-à-dire moi, il me fallait apprendre à connaître le monde, c’était absolument indispensable ».

Sombres décors, sombre vallée, sombre café, sombre moulin, sombres habitations, sombre château enfin, perché en haut de nulle part et surtout sombres spécimens de l’espèce humaine : tels sont les divers éléments de ce poignant itinéraire narratif, tel est le monde que le médecin veut que son fils connaisse.

« Il y avait en effet plus de brutes et de criminels à la campagne qu’à la ville. A la campagne, la brutalité tout comme la violence étaient fondamentales ».

Les Bourgeois de Calais, Michel Bernard (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 16 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, La Table Ronde

Les Bourgeois de Calais, août 2021, 192 pages, 20 € . Ecrivain(s): Michel Bernard Edition: La Table Ronde

 

« Le sculpteur continuait d’appuyer les pouces dans la glaise, de l’évider, l’amincir et la renfler du bout des doigts, y planter les ongles pour en extraire des rognures. À la surface, les ombres frémissaient, se déplaçaient ».

« Il flairait l’odeur du plâtre frais, et du bout de l’index sentit un reste d’humidité. Il faillit le porter à la bouche. Il revint à son dossier et reprit sa lecture, jetant de temps à autre un coup d’œil sur la maquette blanche qui venait de bouleverser l’univers familier de son bureau ».

Les Bourgeois de Calais ne pouvaient rêver meilleure évocation de leur histoire, de leur destin, et de leur seconde naissance. On ne pouvait rêver meilleur roman de la naissance de ce bronze devenu une légende et celui des hommes de passion qui l’ont inspiré et voulu. Les Bourgeois de Calais est le roman d’une passion, il vibre, et s’enflamme, comme l’était Le Bon cœur, cet admirable roman sur Jeanne d’Arc. C’est le livre d’une rencontre unique entre Auguste Rodin, géant aux mains magiques, à la vision éternelle, et à l’imagination rayonnante, et Omer Dewavrin, notaire et maire inspiré de Calais.