L’autre mort à Venise
L’infinie mélancolie qui reste au cœur après la lecture de ce roman tient certes au désespoir de son principal personnage mais aussi à une Venise trouble, fantomatique, hantée par ses lieux mythiques traversés et retraversés ici ; le Harry’s, le Florian, le Palais Gritti, la Piazza San Marco, sont le décor et la métaphore de ce dernier chemin du colonel vieillissant, rongé par les souvenirs de la Guerre et son amour pour la jeune et belle Renata.
Hemingway utilise un flux de conscience décalé dont le héros n’est pas le narrateur. Et la structure de ce roman repose largement sur le support narratif de ce flux : le dialogue, époustouflant de maîtrise, véhicule de l’amour, de la détresse, des regrets, des blessures du corps et du cœur du colonel. Renata est son Autre, celle par qui le discours advient à son esprit et sa mémoire. Renata est son inconscient, son discours inversé qui le renvoie à lui-même : à son désespoir elle oppose sa confiance et son optimisme, à sa réserve son enthousiasme, à sa volonté d’oubli la demande de souvenirs précis et détaillés. La jeune fille fait naître du vieux soldat l’histoire de sa douleur, comme une catharsis vivante et tendre.