Ce prochain amour, Nora Benalia (par Yasmina Mahdi)
Ce prochain amour, Nora Benalia, éditions Hors D’atteinte, Coll. Littératures, janvier 2022, 208 pages, 17 €
À la lumière de
Ce prochain amour est le premier roman de Nora Benalia (née en 1968 d’une mère belge et d’un père algérien), doté d’une jolie cité orientale en couverture, d’Hanieh Ghashghaei, et de deux photographies d’intérieur de Sohan Candat.
Nora Benalia aborde dans son récit l’organicité, la génitalité, l’appareil de reproduction étant connoté différemment selon le Genre. Le langage est cru, direct, martelé. Et pourtant, pudique devant la grande douleur. Qu’est-ce qu’un sexe féminin et à quoi sert-il ? C’est par les bijoux indiscrets que l’auteure décrit ses expériences, son rapport à la sexualité, aux séances gynécologiques, à la parturition, où « on est tâtées, auscultées, piquées en permanence ». Le discours virulent, à contre-courant des supposées joies de l’enfantement et de la maternité – « le culte des affections naturelles, en montrant qu’il y a toujours, et dans tous les cas, quelque chose de sacré, de divin et de vertueux dans les deux grands sentiments sur lesquels le monde repose depuis Adam et Ève, la paternité, la maternité », [Hugo], du « mère courage » brechtien, est salutaire et peu entendu.
Nora Benalia conteste le mythe de la famille comme pilier fondateur, celui de la mère comblée, et elle s’entend rétorquer à maintes reprises : « Chut… Tais-toi. Tu détruis le bonheur familial avec tes exigences de respect ». La protagoniste du roman dit stop à la doxa de la femme socio-sacrificielle, un rôle prôné par le politique, le religieux ou la laïcité. Elle prend conscience de cette convention tacite : « Échange amour + bébé contre ta vie. Un pacte avec le diable, pire que Faust ». L’amour dit idéal, romantique, est démystifié, remplacé par des réalités contingentes subies par nombre de femmes. L’on ne peut s’empêcher de penser au terrifiant Rosemary’s Baby, qui traite de la paranoïa, de l’aliénation de la femme, de la superstition et de la domination.
Le milieu de l’autrice d’origine maghrébine apparaît dans toute sa tension maladive, groupe fermé sur lui-même, famille nombreuse qui génère souvent suicide, folie ou toxicomanie ; famille ressentie comme un lieu de détention. En sortir indemne demande une force introspective hors du commun. Or heureusement, enfant, la narratrice se réfugiait dans ses livres. En outre, le relationnel fille-garçon, femme-homme, épouse-époux n’est guère montré sous un jour reluisant. Cette confession livre un schéma hétérocrate, hétéronormé, à base de rapports de force, de mensonges et de coïts à répétition, « un marché de dupes ». Derrière les clichés et les considérations oiseuses de l’entourage, le réel pointe ici sa face alarmante, inacceptable, indicible. Nous assistons à la déliquescence du couple, aux arrangements mortifères, le poids des responsabilités éducatives incombant largement à la mère, jusqu’à sa mise en danger mortelle ! Ce que l’auteure souligne : « La plupart des femmes autour de moi ont été battues, violées, humiliées, bafouées, contraintes ».
Une part de l’existence de l’interlocutrice de Ce prochain amour vole en éclats, morceaux infimes, brisés, qu’elle va ramasser un à un pour les rassembler, en reconstituer un puzzle, et de cette dislocation va naître son écriture. Au-delà du témoignage, une analyse féministe et sociologique étaye la fiction, avec l’histoire d’une femme, d’un parcours – identitaire en regard des origines mélangées –, la difficulté d’une expurgation du mal de vivre, de plusieurs moi malades, humiliés, mais rendus à la lumière… Et également de ce que certain.e.s portent, les cicatrices, les échecs d’un père immigré « trait[é] de bougnoule toute sa vie », la brutalité d’un compagnon, les brimades, les injustices subies par les mères « prisonnières » nuit et jour de leurs enfants.
Ainsi, Nora Benalia questionne la dépossession de soi, la perte de la personnalité dans une union cruelle, le refoulement des désirs et la solitude profonde qui en résultent. Elle rappelle cette vérité, au passage : « Il n’y a que les nantis, les dominants, les hommes blancs et riches pour n’avoir aucune idée de la force que certains doivent déployer pour simplement naître ». Son roman règle des comptes/contes et cherche la morale de la fable, malgré l’affreuse « société nombriliste où tous se fichent de tous ». Ce journal-confession offre une leçon de sociologie qui tente de rétablir les liens intimes et historiques entre tous les éléments d’un système et le concret des femmes contemporaines.
Yasmina Mahdi
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