Écrire « pour ce qui est de Dante, j’emmerde cette vieille taupe, avec sa couronne de laurier et son air de tapir libidineux » (p.66) est au moins irrévérencieux et tient de la mauvaise blague de potache, d’autant plus que, Dante n’étant pas étudié en France dans le secondaire, celui qui tient ce propos n’a pas l’excuse (au demeurant très relative) des mauvais souvenirs scolaires pour justifier sa hargne. On acceptera que c’est un personnage qui prononce cette phrase et qu’au moment où il le fait, à une heure avancée de la nuit (ou du matin), il est copieusement imbibé d’alcools variés, ce qui ne constitue jamais une bonne condition pour exercer l’art de la critique littéraire.
Si l’on devait imaginer un dialogue entre le personnage et l’auteur, sur le modèle de Providence d’Alain Resnais, celui-ci serait fondé à dire que la remarque de celui-là est d’autant plus malvenue que le Florentin lui a fourni, comme à tant d’autres avant lui, une source d’inspiration capitale. En effet, au cours de leur longue beuverie, le personnage et un sien ami en sont venus à empiler les unes sur les autres des pièces de monnaie, de la plus petite en bas à la plus grande en haut, afin de schématiser l’entonnoir renversé que constitue l’enfer du poète italien. Comme dans la Divine Comédie, l’histoire que raconte celui qui « emmerde » Dante tient de la révélation progressive et de la descente vers l’abîme de l’Histoire.