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Les Livres

Étrange, suivi de Onze kaddishim pour Rose, Pierre Maubé (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 02 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Étrange, suivi de Onze kaddishim pour Rose, Pierre Maubé, éditions Lieux-Dits, Coll. Les Cahiers du Loup bleu, juillet 2020, 32 pages, 7 €

Dans un double mouvement, ce livre se déploie entre vie et mort, entre mal qui ronge le corps et souffrance terrible imposée brutalement à l’autre. Rose a été tuée, à 97 ans, par un terroriste dans la synagogue de Pittsburgh avec dix autres personnes, pour le seul « motif » d’être née juive : l’horreur radicale, qui remémore tous ces actes nazis et autres !

Étrange, premier volet d’une douzaine de poèmes, incise l’appréhension de la vie, de la douleur, du corps souffrant, dans le double sens du terme : prendre en compte et craindre. Le poème soulage-t-il de la dire cette douleur ressentie au plus nu ? En septains jouant de l’anaphore « étrange vie », le poète dissèque sa « douleur », « mienne » jusqu’au plus dur et incisif du mot : avec l’effort qu’il faut pour baliser la souffrance pour mieux la maîtriser, avec le « ricanement » perçu au plus profond, avec ce lot de déplaisantes manifestations du corps souffrant (vomissement, plainte, « vie maladive », ah ! cette « sœur d’abîme », sublime image d’un soi blessé au cœur de ce corps). Dans une description sans complaisance, le poète se met à la place de tout souffrant, quel qu’il soit, dont il éprouve jusqu’à l’os le malaise de vivre et la lueur qui, quoi qu’on ressente, subsiste, en dépit de tout.

Et si on arrêtait de faire semblant ?, Jonathan Franzen (Par Sylvie Ferrando)

, le Vendredi, 02 Octobre 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Et si on arrêtait de faire semblant ?, Jonathan Franzen, L’Olivier, septembre 2020, trad. anglais (USA) Olivier Deparis, 352 pages, 22,50 €

Voici une collection de dix-huit articles publiés au fil des ans, dans diverses revues ou ouvrages, de 2011 à 2019, mais écrits entre 2004 et 2019 par l’essayiste Jonathan Franzen, et traduisant son engagement soit littéraire, soit politique.

Le goût de Franzen pour les oiseaux court de texte en texte, au gré de ses nombreux voyages – que de merveilleux noms cités, tels le Rossignol progné, les Cochevis huppés, la Bondrée apivore, le Pic à raies noires, les Pluvians d’Egypte, les Guêpiers carmin, un Engoulevent à balanciers mâle, le Pygargue à tête blanche, le Loriot d’Europe, et tant d’autres, car Franzen est un ornithologue « listeur », celui qui aime à établir des listes des espèces rencontrées. C’est sa façon propre de s’engager en faveur de la biodiversité et de la protection des espèces en voie de disparition. Toutefois, comme tout bon écrivain qui pense contre la doxa et l’opinion commune, Franzen déploie une pensée à étages, une analyse de sa propre critique : « je me demande parfois si, au fond, mon souci de la biodiversité et du bien-être animal ne serait pas une forme de régression vers ma chambre d’enfant et sa communauté de peluches : un fantasme de câlins et d’harmonie interespèces ».

Le Dormeur, Didier Da Silva (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Jeudi, 01 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Le Dormeur, Didier Da Silva, Marest Editeur, octobre 2020, 128 pages, 14 €

 

La réalité est parfois déroutante. C’est l’été 1974 et ils sont nombreux à se précipiter au cinéma pour aller voir Emmanuelle. Dans les salons, on discute de L’Archipel du goulag de Soljenitsyne. Valéry Giscard d’Estaing prononce son fameux « Vous n’avez pas le monopole du cœur » et remporte l’élection présidentielle. 1974 est aussi l’année de naissance du narrateur, David Da Silva lui-même. C’est également au cours de cette année qu’a été tourné un film, baptisé Le Dormeur, réalisé par un certain Pascal Aubier que Didier Da Silva découvrira quelques années plus tard. Il subira alors un choc esthétique. Il décidera d’en tirer un livre.

Le Dormeur est une adaptation du poème de Rimbaud, Le Dormeur du val, et qui consiste en un long travelling d’un peu plus de neuf minutes dans une forêt. On aperçoit un homme étendu que l’on croit vivant, mais qui ne l’est pas. Après avoir vu ces images, David Da Silva part à la recherche du réalisateur. Ce ne sera pas le début d’une longue traque car il le retrouve facilement. Les deux hommes sympathisent, Pascal Aubier se met à raconter sa vie, les gens avec lesquels il a travaillé. Tout le gratin du cinéma français d’une certaine époque y passe.

Ce virus qui rend fou, Bernard-Henri Lévy (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 01 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Grasset

Ce virus qui rend fou, Bernard-Henri Lévy, juin 2020, 112 pages, 8 € Edition: Grasset

 

On sait BHL excité dans le sujet qu’il défend, la plupart du temps avec brio, et c’est encore le cas avec Ce virus qui rend fou. Avec ce titre a priori facile, cela annonce le « tout cuit », ce qui n’est pourtant pas le cas.

N’y voyez pas un ouvrage de vulgarisation ou force conseils pratiques. Il s’agit, à mon sens, d’un ouvrage très philosophique, voire parfois assez politique à défendre « l’esprit de la République » au sens étymologique du terme : « …Et j’ai toujours pensé que l’on ne rend service à personne quand on réduit la politique à la clinique, qu’on débite en maladies ce reste de l’homme que sont la mort et le mal et que l’on prétend, de ces maladies, guérir le genre humain ».

BHL fait la part belle à ses nombreuses références, et il faut avoir une sérieuse formation intellectuelle pour le suivre dans ses citations diverses, même si elles ne paraissent pas toujours utiles dans le sens explicatif de son sujet maîtrisé simplement et accessible au commun des mortels.

Le Coût de la vie, Deborah Levy (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 30 Septembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman

Le Coût de la vie, Deborah Levy, Editions du sous-sol, août 2020, trad. anglais, Céline Leroy, 159 pages, 16,50 €

 

« Certaines nuits, les étoiles lointaines semblaient très proches quand j’écrivais sur mon minuscule balcon, emmitouflée dans un manteau. J’avais échangé le bureau tapissé de livres de mon ancienne vie contre une nuit d’hiver étoilée. Pour la première fois, j’appréciais l’hiver britannique ».

Le Coût de la vie pourrait aussi s’appeler Le Goût d’une solitude retrouvée ou encore Le Coût d’une liberté nouvelle. Ce livre est le récit finement composé comme un vitrail, de la vie d’une femme après le divorce, de la vie d’une anglaise en liberté. Deborah Levy raconte un épisode de sa vie sentimentale où elle s’éloigne de son mariage : « Quand l’amour commence à se fissurer, la nuit tombe ». Elle quitte la maison familiale avec ses filles, et s’installe dans un appartement du sixième étage d’un immeuble qui attend toujours sa réhabilitation, un immeuble aux murs sinistres des couloirs de l’amour. Installée sur son balcon, elle écrit, et elle lit, écrire et lire, cette passion fixe est au cœur de son récit inspiré et vibrant. Écrire, lire et aimer : « Vivre sans amour est une perte de temps. Je vivais dans la République de l’Écriture et des Enfants ». Deborah Levy se souvient d’un poème d’Emily Dickinson : La gloire est une abeille – Elle chante – Elle pique – Et hélas, elle s’envole ! Une autre phrase fait écho à ce qu’elle vit, à ce qui la traverse : « Je suis “mariée” j’en ai fini avec ça ».