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Les Livres

Une relation enragée, Correspondance croisée 1969-1986, Francis Ponge, Christian Prigent (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 14 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Correspondance, L'Atelier Contemporain

Une relation enragée, Correspondance croisée 1969-1986, Francis Ponge, Christian Prigent, août 2020, 224 pages, 25 € Edition: L'Atelier Contemporain

 

Le marteau avec ou sans maître : correspondance Ponge / Prigent.

En 109 lettres écrites, et par deux acteurs éminents du monde poétique, se découvre une page importante de l’histoire littéraire et des revues à travers le positionnement respectif de Ponge et Prigent. La situation de la Revue TXT (que le premier lance avec Steinmetz) est précisée par rapport à ses aînés, Tel Quel, Critique, Promesse, Art Press et bien d’autres. Mais surtout cet échange permet de comprendre ce que Prigent a trouvé dans l’œuvre de Ponge : le refus du lyrisme subjectif qui englue la poésie et en conséquence la recherche d’une écriture sinon matérialiste du moins matérielle.

Attentif comme Ponge au détail formaliste, au corps stricto-sensu de la lettre, Prigent a néanmoins su échapper très vite à l’ombre du maître. Encore étudiant et écrivant un mémoire sur l’auteur du Pré, il refuse de plonger « dans Ponge jusqu’à en être pongéifié, empongé, pas près d’être é-pongé : et vlan passe-moi les Ponges : Ponge Pilate, Ponge créole, ponge toujours tu m’intéresses, honny soy qui mal y Ponge ».

De Sang et d’encre, Rachel Kadish (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 14 Octobre 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

De Sang et d’encre, Rachel Kadish, Le Cherche-Midi, septembre 2020, trad. anglais (USA) Claude et Jean Demanuelli, 564 pages, 23 €

 

« La découverte de manuscrits révèle les pires instincts, même chez des savants normaux par ailleurs » (James B. Robinson). La validité de ce principe se vérifia une fois de plus un jour de l’an 2000, où le professeur Helen Watt, spécialiste de l’histoire du judaïsme, fut appelée dans une demeure cossue, non loin de Londres, afin d’examiner une petite cache remplie de manuscrits anciens, découverte à la faveur de travaux de rénovation. À première vue, le Pr. Watt pensa être devant le contenu d’une genizah, ce tombeau où les Juifs pieux enfouissent les vieux manuscrits liturgiques et autres papiers qu’ils ne peuvent se résoudre à détruire, parce qu’ils contiennent le nom de Dieu (l’exemple le plus célèbre étant celui de la genizah du Caire, découverte en 1896).

En se plongeant dans la lecture de ces manuscrits qui avaient été soigneusement rangés et classés dans leur abri (en soi, cela suffisait à montrer qu’il ne s’agissait pas d’une genizah, où les papiers sont abandonnés en vrac), Helen Watt se rendit compte qu’elle était en présence de tout autre chose. Ces archives appartenaient à un rabbin londonien du XVIIe siècle, venu d’Amsterdam.

La Vache, Beat Sterchi (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 13 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Zoe

La Vache (Blösch, 1983), Beat Sterchi, trad. allemand, Gilbert Musy, 471 pages, 22 € Edition: Zoe

 

Dans ce roman, point de guerre et de grands massacres comme l’Histoire nous en réserve régulièrement depuis toujours. Et pourtant il n’est question ici que de la Mort que l’homme porte en lui pour lui et pour les autres êtres vivants. Ce ne sont que des vaches ? Le cauchemar, sous la plume brûlante de Beat Sterchi, n’en est que plus terrifiant avec trois niveaux de lecture, l’un immédiat et déjà terrible, l’autre métaphorique et plus terrible encore, le dernier ontologique et ravageant.

Les flots de sang accompagnent les hommes comme ceux qui coulent dans leurs veines et, avec eux, la lâcheté, la faiblesse, le mépris, la misère de l’âme.

On peut lire ce roman comme un roman sur le monde rural, décortiquant avec réalisme la vie quotidienne des éleveurs laitiers et celle de leurs ouvriers agricoles, souvent issus de l’immigration espagnole ou italienne. L’étable, les déjections, les vaches malades, les vêlages difficiles, les temps de travail interminables avec le seul congé partiel du dimanche, la saleté, la solitude, constituent la scansion obstinée des jours qui suivent les jours.

Nos espérances, Anna Hope (par Christelle Brocard)

, le Mardi, 13 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Gallimard

Nos espérances, Anna Hope, mars 2020, trad. anglais, Élodie Leplat, 368 pages, 22 € Edition: Gallimard

 

Fortes de leur jeunesse et de l’horizon radieux qui s’ouvre devant elles, Hannah, Cate et Lissa cohabitent dans une jolie maison victorienne, située à l’orée du célèbre parc de London Fields, au cœur du quartier animé d’Hackney. Les deux pieds dans la vie active, mais l’esprit plutôt tourné vers les réjouissances citadines, les trois trentenaires dépensent leur énergie, sans compter, dans le tourbillon galvanisant de la capitale. Le narrateur ne mâche pas ses mots lorsqu’il souligne, avec une insistance assez vite suspecte, qu’elles ont vraiment tous les atouts pour être heureuses et tracer leur chemin sans encombre. Au moyen de flash-back récurrents, il revient sur les événements marquants, les curriculums universitaires et les circonstances particulières qui ont scellé une amitié tripartite, franche et sereine. Trois tempéraments distincts et trois trajectoires différentes se dessinent pour converger vers l’allégresse de l’incipit ; mais, déjà, dans ces trois personnalités écorchées bien que brillantes, dans ces trois itinéraires heurtés bien que fortunés, se devinent les difficultés à venir, les désillusions futures. Et c’est en effet le temps du désenchantement qui prend rapidement le pas sur l’optimisme initial.

Chair papier, Juliette Brevilliero (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 13 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Galilée

Chair papier, Juliette Brevilliero, septembre 2020, 96 pages, 12 € Edition: Editions Galilée

 

Le titre Chair papier tient la promesse des thèmes abordés dans ce premier recueil de poésie de Juliette Brevilliero, ouvert par le poème La femme livre, un portrait possiblement idéal de la Poétesse dans son sens empirique. L’obsession de la création littéraire et l’obsession des mots qui ne viendront peut-être pas sont mêlées à une sensualité ininterrompue, qu’elle se trouve dans les vocables eux-mêmes ou dans les corps que nous croisons. Car ce qui est physique ne cesse pas d’être marié à ce qui est écrit, à ce qui est lu : la volonté de la poétesse est de troubler (non pas de tromper) son monde en faisant des signifiants et des signifiés son armée, une armée mixée, mais si cela apparaît comme un jeu valable de poète, en aucun cas il ne s’avère gratuit. Cette volonté est l’expression d’une quête, d’un sens à apporter, d’une direction. Les poèmes se boivent ici comme des sensations, où l’on tend à un rapprochement exalté, exceptionnel avec l’autre, où l’on appréhende et accepte les déceptions d’un amour qui avait l’allure du parfait : « Mon cœur veut des mots plus forts / des mots qui impriment le ciel / Que ferons-nous s’ils ont tort ? » ; « mes lettres s’emmêlent aux tiennes / qu’elles foudroient l’infini ».