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Chair papier, Juliette Brevilliero (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 08.12.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie, Editions Galilée

Chair papier, Juliette Brevilliero, éditions Galilée, septembre 2020, 96 pages, 12 €

Chair papier, Juliette Brevilliero (par Didier Ayres)

 

Inclusion

Je ne souhaite pas débattre de l’intérêt de l’écriture inclusive sur la qualité de l’expression qui pourrait en découler. Ici, avec ce recueil somme toute un peu étrange, je crois que le mot « inclusion » donne à penser en quoi écrire est une aventure du dedans, et qui rencontre parfois ou qui narre la relation de l’écrivaine à la physiologie, au caractère aqueux de ses métaphores, ou à une écriture-femme. D’ailleurs, cette dernière n’est pas qu’un concept féminin, mais celui aussi du chercheur et poète Philippe Tancelin qui concluait il y a quelques années à l’existence d’un « elle » (d’un L, d’une aile) dans l’écriture, donc une écriture-elle.

Avec les poèmes de Juliette Brevilliero, l’on côtoie la sécrétion, la cavité sexuelle, la force nerveuse et biologique du corps. Cette inclusion, ce détour par l’intérieur du corps, expression valvulaire, où l’on suit le mouvement d’une invagination qui décrit une tension de ce qui inclut la matière du doigt dans un gant, puis qui reconduit le gant à sa forme initiale, cette opération vise à inclure le corps dans l’écriture. Est-ce une tentative pareille à celle du corpoème de Jean Sénac ? Je ne sais.

Cependant, mes lectures, qui s’accompagnent de notes au porte-mine, se sont constituées par accumulations de termes, et ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, je revenais sans cesse à cette qualification dont j’étais en quête, griffonnant des pistes d’exploration, pour en garder mémoire. Mais je m’aperçois que cette liste peut éclairer ma sensation. Ainsi, je revenais toujours sur des épithètes, venant caractériser le mot poème. Donc, le poème-organique, le poème-physiologique, le poème-sécrétion, le poème-mucosité, le poème-salivaire, le poème-dedans, le poème de la profondeur sexuelle. Et cette énumération aurait pu continuer.

Cela dit, j’ai beaucoup pensé au travail d’une autre poétesse, une amie de longue date, Françoise Clédat qui publie depuis 20 ans sa poésie complexe et riche, chez l’éditeur de St-Benoît-du-Sault, Tarabuste. Est-ce judicieux ? Toujours est-il que j’ai cru y déceler une même musique. Poèmes de chair appliqués au papier, écriture-encre, écriture-sang. Excavation de la langue.

Cela en passe, pour J. Brevilliero, par beaucoup d’assonances, d’allitérations, ce qui nous ramène au chant, voix, voix humide, litanie, remâchée.

 

J’étais la promesse sans cesse

réoubliée de mon être

folle du néant bégayant qui s’entête

dans sa plaie béante

hors d’une plèbe démente

 

Concrétion, profondeur, fonction organique de l’expression.

 

L’invagination m’invaginait depuis des jours

En V et G, que d’allitérations

Jusqu’à sa définition

réalité ô combien délétère

m’éloignant des alanguis tréfonds

que j’imaginais, invaginée

d’imaginaire vaginal

 

Ici, ainsi, fiel, battement des eaux, écume sexuelle, concrétion humide, importance du mouillé. J’y ai décelé une poésie-genrée. Un face à face avec l’amour-genré. Celui d’une écrivaine rôdant dans son univers, se reportant à la sexualité souvent, mais sans aucune relation de filiation avec Les 11.000 verges d’Apollinaire par exemple. Car ces textes se conçoivent comme une expérience menée dans l’action d’écrire, pris par une sorte de danger intime à exprimer ce poème-femme, répondant ainsi mieux à la question du genre. C’est en tout cas ce que j’ai retenu de ce poème-chair.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.