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Les Livres

L’Anomalie, Hervé Le Tellier (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 04 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

L’Anomalie, Hervé Le Tellier, août 2020, 336 pages, 20 € Edition: Gallimard

 

Le début de la fin selon Hervé Le Tellier

Dans ce roman – qui selon l’auteur n’en est pas véritablement un – à double-fond, entre le temps physique et notre temps distendu, les héros de Le Tellier, sans avoir conscience du temps qui s’écoule, nous emportent dans une « anomalie » : le même avion avec les mêmes passagers se posent à deux moments différents. D’où la volonté de faire un trou dans les plis du temps de cet interstellar romanesque qui oblige des savants réunis à Washington à élaborer des hypothèses.

Pour certains, le monde est photocopiable, pour d’autres il s’agit d’un trou de verre dans les strates du temps, et pour les derniers d’entre eux il n’est qu’une pure simulation généralisée. Cette dernière idée devient « la bonne » car la plus absurde. Ce qui laisse au passage le Président Américain « bouche ouverte » comme un « gros mérou ».

Abraham, ou La cinquième Alliance, Boualem Sansal (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 03 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Maghreb, Gallimard

Abraham, ou La cinquième Alliance, octobre 2020, 284 pages, 21 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Gallimard

 

Pour qui s’intéresse à la littérature, c’est-à-dire à un ensemble dynamique (chaque époque produit ses grands écrivains) d’œuvres achevées (il n’y aura plus de nouvelle tragédie de Racine), il est toujours passionnant de voir une œuvre apparaître, à la manière d’une île qui émerge de l’océan. En ce qui concerne Boualem Sansal, nous n’en sommes plus à observer la naissance d’un écrivain de tout premier ordre. Ses romans qui s’alignent sur nos étagères forment d’ores et déjà une œuvre à part entière, qui acquerra le statut de classique. Depuis Boumerdès, sa ville, non loin d’Alger, il a su éviter les pièges de la revendication post-coloniale et de la couleur locale. Son œuvre, d’une ampleur panoramique, obéit à une force intérieure et ne se soucie pas de complaire à des commanditaires, des journalistes ; de flatter l’air du temps ou la prudente doxa en vigueur. Abraham le confirme au besoin.

La dernière interview, Eshkol Nevo (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 03 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard, Israël

La dernière interview, Eshkol Nevo, août 2020, trad. hébreu, Jean-Luc Allouche, 468 pages, 24 € Edition: Gallimard

 

La dernière interview… est en réalité une somme de questions – vraies, fausses, prétextes ? – posées à l’auteur – Eshkol Nevo, son double, imaginaire, fantasmé ? – exutoire ? – par des lecteurs supposés, sur Internet : « Ces anecdotes se sont tellement perfectionnées devant les publics successifs que je ne suis déjà plus certain de les avoir réellement vécues » (p.15).

En réalité une trame, une toile tissée abordant, par-delà la vie professionnelle et familiale de l’écrivain en question(s), les thèmes de la vie politique, culturelle, « cultuelle », les grands thèmes de l’armée, de son entrée par effraction dans la vie, du voyage, de l’amitié, de la mort, de l’amour, de la poursuite, en résumé, de l’identité : « (…) L’Israélien que je décrivais dans mes ouvrages ne coïncidait pas avec le cliché qu’ils espéraient voir – un Israël d’oranges, de danses folkloriques et de raid sur Entebbe » (p.102).

A propos de Moby Dick – Herman Melville (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 03 Novembre 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, USA, Gallimard

Moby Dick, Herman Melville. Traduit de l'américain par Philippe Jaworski, Quarto Gallimard

Il faut sauver le narrateur !

Le plus grand roman américain ? Quoi qu’il en soit de la joute qui pourrait opposer les tenants de cette assertion et ceux qui proclameraient que c’est Absalon ! Absalon !, Moby Dick est un sommet dans les lettres américaines et la source intarissable de presque tout ce qui s’écrira après. Ce roman monstre (dans tous les sens du terme), il faut le rappeler, paraît en 1850, c’est-à-dire presque aux débuts de la grande littérature américaine, ce qui en dit, mieux que toutes les assertions du monde, l’énormité. Une littérature naissante et déjà une œuvre monumentale et éternelle qui surgit.

Melville est un génie, certes, mais son ouvrage ne vient pas du néant, il ne le crée pas de toutes pièces dans un désert littéraire. Nathaniel Hawthorne – qui sera son intime ami – a publié une partie de son œuvre et, surtout, La Lettre écarlate. Edgar Allan Poe a écrit une importante partie de ses contes. Ralph Waldo Emerson a écrit Nature. Et, bien sûr, Washington Irving et James Fenimore Cooper ont planté le décor des grands espaces et de la présence imminente du fantastique presque un siècle plus tôt. Mais Moby Dick, à défaut de sortir du néant, sort de l’immensité des océans ce qui, d’emblée, place l’ouvrage dans des espaces où seule La Bible avait imaginé des monstres. La bible, dont le roman est nourri, qui alimente chaque personnage, chaque situation, chaque ligne.

Une philosophie de la solitude, John Cowper Powys (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 02 Novembre 2020. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Allia

Une philosophie de la solitude, John Cowper Powys, août 2020, trad. anglais, Michel Waldberg, 208 pages, 12 € Edition: Allia

 

A la lecture de la préface (une préface ne devrait-elle pas être lue comme une postface ?), on pourrait prendre peur. Car on se dit, presque avec automatisme, que cet ouvrage, fraîchement réédité cet été, veut se présenter comme un guide spirituel à l’égard des personnes qui, malgré elles, ont trop subi la solitude durant le confinement. Ce n’est pas qu’une telle démarche serait à déplorer, mais dès l’abord, c’est comme si l’on sentait trop l’écho fait à ce que nous connaissons tous en 2020, et c’est déjà agaçant.

Sauf que cet ouvrage a été publié pour la première fois en 1933 et qu’il a été écrit par John Cowper Powys, grand érudit. Ce qui s’est révélé agaçant dans les premières minutes, sans doute trop influencé par les actualités, devient troublant : la philosophie qu’on cherche à y développer, invitant à retrouver une solitude dépouillée à l’extrême et profondément individuelle, tout particulièrement au milieu des grandes cités, abat les murs des époques.