Marie-Lou-Le-Monde, Marie Testu (par Yasmina Mahdi)
Marie-Lou-Le-Monde, Marie Testu, février 2021, 120 pages, 13 €
Edition: Le TripodeUne pastourelle
Marie Testu, née en 1992, agrégée de philosophie, a rédigé un mémoire « sur le désir et la perception dans la philosophie de Maurice Merleau-Ponty ». Marie-Lou-le-monde est son premier texte littéraire. Le titre, un prénom composé assez rare, Marie-Lou, possède une double origine, issue de l’hébreu mar-yâm (aimée) se transformant en Myriam, et Lou, diminutif de Louise (hold et wig, pouvant signifier illustre et combattant). Ce livre, dont la couverture a été illustrée par Maïté Grandjouan – une forêt sombre, buissonneuse, se découpant sur un ciel fulgurant, en feu –, émeut à cause du relent sucré et doux-amer du surgissement de l’adolescence.
De suite, l’on fonce tête baissée, les sens en appétit, vers « Marie-Lou » qui « fait disjoncter » [parce] « Que c’était elle et qu’elle était tout ». Marie-Lou, c’est une naïade, c’est possiblement l’Atalante de la version béotienne, celle qui court devant ses prétendants ; ici, une athlète moderne. Et une Aphrodite complice lui emboîte la course dans la vieille cité romaine d’Aix. Comme dans les mythes, une jeune fille idéale, à la longue chevelure, est redescendue du jardin des Hespérides afin d’hypnotiser une lycéenne. Marie-Lou devient la femme-monde à l’orée du désir, de l’éros liminaire au féminin, caméléone tantôt noire, tantôt blanche, même bleue.
Le style de cet ouvrage est celui de la prose poétique, à l’écriture imagée de descriptions candides, de déclarations spontanées et fiévreuses. Les phrases courtes, quelquefois découpées à l’emporte-pièce, relèvent de l’hybridation des genres, jouant sur l’abstrait et l’inachevé. L’intensité de la déclamation tient au décalage entre l’onirisme d’un surréel – une « nuque éclate » –, et le prosaïsme des détails vestimentaires et des actions. Le tout dans la candeur de l’âge de la poétesse et de la fraîcheur du portrait de Marie-Lou, demoiselle en phase avec son époque, portant « Bandanas », « Short phosphorescent » aux « lèvres vanille » et à la « robe acrylique dos nu ». Un langage parfois cru se mêle aux situations triviales :
Qui sont ces mecs en jogging
(…)
Ils nous servent des bières aromatisées
Dégueulasses et Marie-Lou
S’affale sur le comptoir elle avale tout ce qu’elle trouve
Trois états s’imbriquent – lutte, antagonisme, fusion –, tanguent, roulent, tantôt à l’imparfait, puis dans l’urgence du présent.
ses jambes
Fuselées
Des colonnes romaines
(…)
ongles nacrés
Roches séchées
Au soleil
Ainsi, la traditionnelle ode à la femme s’interrompt pour laisser place à une autre prosopopée ainsi qu’à une catilinaire violente contre les hommes libidineux et capables de viol. Les jouvencelles ingurgitent des boissons fortes, affichent leurs envies sans complexe. Il y a des humeurs, de la salive, du vomi, du sang, de la putréfaction « des égouts remplis de mégots et de canettes de Kro », dans cette rythmique amoureuse entre deux filles « prisonnières » d’un petit endroit « De campagne » où « Il n’y a rien ». La chaleur, les animaux à sang froid, l’été, s’ajustent au décor solaire dans lequel la sportive Marie-Lou déploie une présence sacralisée par la poétesse. Seule la poésie est capable de figer un indicible moment d’éternité et Marie Testu tente de garder en elle cette effigie aimée grâce à l’aveu, la confession d’une lycéenne face à la découverte de l’amour et de la mort :
Au commencement était le Verbe
La lumière et
Marie-Lou
Ce n’est donc pas l’embaumement traditionnel du corps de la femme mais au contraire un hymne à la préséance de sa vitalité, de sa résistance. L’écriture-rodéo de Marie Testu se lance en une course au lasso vers l’adolescence éphémère, où une Ophélie contemporaine viendrait flotter et ressusciter parmi une flore méditerranéenne. Ainsi, le corps de Marie-Lou est lactescent, fluorescent. Fabriqué phantasmatiquement, il porte en lui une puissance insondable, illimitée. Est-ce là le phénomène de la reconnaissance d’un alter ego surprenant et invasif ? Il y a également une verve féministe.
On nous montre les femmes mortes les femmes
Fantaisies les muses les mères les statiques
(…)
Marie Testu tatoue son vocabulaire d’initiée sur la peau de Marie-Lou, homotextualité qui accompagne la naissance d’un univers genré, surgi du « trou béant » originel. Dans cette pastourelle où se mêle l’agressivité à l’idylle d’une saison, l’épitaphe à l’adresse d’un sosie, la poétesse met en scène une Amphitryone inédite, se faisant passer pour elle, dans le but de séduire son Alcmène – Marie Testu (?).
Yasmina Mahdi
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