Une suite d’événements, Mikhaïl Chevelev (par Marie du Crest)
Une suite d’événements, Mikhaïl Chevelev, janvier 2021, trad. russe, Christine Zeytounian-Beloüs, 170 pages, 18 €
Edition: GallimardLe livre s’ouvre, sans doute pour éclairer les lecteurs non russes, sur une carte des zones caucasiennes, territoires inconnus de la plupart et théâtres de conflits depuis des décennies : la Tchétchénie, Le Haut-Karabagh, l’Ossétie du nord… La Russie est un pays qui a subi des bouleversements terribles dans son Histoire et la période contemporaine n’échappe pas à ces secousses. On l’aura compris, le roman de Chevelev est politique ; un passage en italiques, discours rédigé par le narrateur journaliste, Pavel Volodine, tient d’ailleurs lieu de mise en accusation très explicite du système politique de Poutine.
Si le roman est assez court, il n’en est pas moins subtilement bâti sur une alternance des époques (période Eltsine, période pétersbourgeoise de Poutine et période des années 2010), et d’une chronologie resserrée en heures, correspondant à l’épisode central du récit, à savoir une prise d’otages dans l’église de Nikolskoé. Le personnage principal est celui d’un journaliste juif moscovite, qui, à l’occasion d’un reportage en Tchétchénie, va faire la connaissance de Vadim, soldat russe du front, qui après des tractations avec l’ennemi va pouvoir rentrer au pays, en passant pour un membre de l’équipe de presse.
Chevelev fait se croiser la vie de celui qui est en quelque sorte son double romanesque et celle d’un jeune homme broyé par la guerre et dont la trajectoire tragique (passer à l’ennemi, perdre sa femme russe, subir les violences et chantages de la police, vivre dans une semi-clandestinité durant des années, rejoindre l’Ukraine…) s’achèvera par une forme de suicide, en faisant exploser l’église où, avec d’autres, il a retenu 112 personnes dont des enfants, en écho à Beslan en 2004 mais en épargnant cette fois les victimes.
Chevelev dresse un portrait au vitriol de son pays miné par la corruption, les basses œuvres du FSB, né sur les cendres du KGB, les crises économiques, les guerres menées jusque dans le Donbass ou encore l’annexion de la Crimée. Mais il se garde bien de donner à son narrateur le beau rôle : il fait surgir le flot de ses pensées comme autant de moments ironiques sur lui-même et sur sa vie personnelle. Il reste impuissant face à tous ces désordres et il ne parviendra pas à sauver Vadim. Le journaliste n’est pas un héros malgré sa volonté de regarder le monde en face et de conjuguer ses illusions. Il nous ressemble au fond, comme le souligne Ludmila Oulitskaïa dans sa postface : Regardez dans votre cœur : n’avez-vous pas aussi votre part de responsabilités dans la brutalité et la colère qui nous entoure aujourd’hui ?
Bref un grand livre.
Marie Du Crest
Mikhaïl Chevelev, né en 1959, a été journaliste durant les années 1990 au journal Moskovskie Novosti comme correspondant de guerre puis chef du service du département des conflits ethniques. Sa liberté éditoriale entravée par le pouvoir russe de Poutine l’a poussé à abandonner la presse qu’il qualifie de « bouffonnerie » pour écrire en 2015 son premier roman, Une suite d’événements, nourri de son expérience sur le terrain. L’auteure Ludmila Oulitskaïa lui consacre une postface.
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