Identification

Les Livres

Sèvre, eaux fortes, Vincent Dutois (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 06 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Sèvre, eaux fortes, Vincent Dutois, Le Réalgar-Éditions, 2020, 44 pages, 4,50 €

 

C’est un texte génial, et qui n’est presque rien : un livret de trente-cinq pages, sorti il y a deux ans, qui tient dans la main. Le titre évoque la Sèvre Niortaise (fleuve côtier qui, avec la Nantaise – qui n’est, elle, qu’une simple rivière –, baptise le département bien connu de l’Ouest français, et finit en face de l’île de Ré), joue avec le nom de la gravure sur plaque de cuivre (l’eau forte est l’acide qui creuse les traits voulus en sillons qu’on remplira d’encre et imprimera sur papier), propose un cliché, sobre, nu et net du Marais Poitevin proche (l’auteur est aussi photographe). Sept lieux proches les uns des autres (les coordonnées baroquement fournies font foi) sont successivement commentés. On attend un hydrologue, un ethnographe, un promeneur, un natif ; on les a. On a, surtout, un styliste étincelant, d’une démoniaque virtuosité, qui vous décrit aussitôt quatre anciens clampins du cru (les « frères tous-pareils » !), posant pour l’avenir (dont ils se souciaient peu, qu’ils méritaient moins encore) dans une prose poétique dont on ne connaît pas, dans la langue française, d’équivalent actuel :

Monstrueuse féérie, Laurent Pépin (par Parme Ceriset)

Ecrit par Parme Ceriset , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Contes

Monstrueuse féérie, Laurent Pépin, Éditions Fables Fertiles, novembre 2022, 120 pages, 16,20 €

 

« Monstrueuse féérie », voilà un titre qui ne peut laisser indifférent, tant l’oxymore dont il est porteur est déjà une excellente description de la vie humaine dans tous les contrastes qui la caractérisent. Ainsi, les « questions sans réponse » d’un petit garçon peuvent-elles ouvrir dans son esprit des « fenêtres » qui, bien plus tard, lorsqu’il sera devenu adulte, laisseront entrer des « monstres ». Comment ne pas être hanté en effet par le souvenir d’un père qui n’était présent « qu’à regret », dont le seul passe-temps était « de vider les animaux pour les empailler », d’une mère qui « par son absence » devenait « omniprésente », restant constamment alitée, occupée à la « prolifération, la duplication à l’infini des créatures remplissant son ventre, jaillissant de son corps à tout moment »…

Comment créer du sens dans un environnement mortifère où la vie est enfermée dans un « bocal d’éther », où les parents veulent tuer les enfants « pour qu’ils ne puissent pas témoigner de leur naufrage » ?

Winesburg-en-Ohio, Sherwood Anderson (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, USA, Nouvelles, Folio (Gallimard)

Winesburg-en-Ohio, Sherwood Anderson, Gallimard, Coll. L’imaginaire, 1961, 2010, trad. anglais (USA) Marguerite Gay, 322 pages, 11,90 €

 

J’avais déjà lu quelques nouvelles de Sherwood Anderson (1876-1941) dans des anthologies de short stories américaines, où il brille souvent par sa présence. Son écriture m’a toujours semblé manquer de relief, une langue ordinaire non pas blanche mais coulée dans une syntaxe simple et parfois relâchée, avec la petite musique pressée de la langue qu’on parle quand on raconte, sans s’embarrasser de fioritures. En lisant enfin les vingt-deux nouvelles de Winesburg-en-Ohio, son œuvre la plus célèbre, je me rends compte à quel point sa plume est puissante, et nuancée malgré les redites car chacune de ces nouvelles donne l’impression d’avoir été écrite en une séance.

Le grotesque et la cruauté ne manquent pas dans Winesburg, où il appelle d’ailleurs ses personnages des grotesques, sorte d’écorchés vifs, à l’exception de George Willard, le jeune journaliste de la gazette locale (« A.P. Wringlet a reçu un assortiment de chapeaux de paille. Ed Byerbaum et Tom Marshall étaient à Cleveland vendredi, etc. »). Willard est au centre du livre et revient dans plusieurs nouvelles.

Tuer des roses, Claire Boitel (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Editions Douro

Tuer des roses, Claire BOITEL, Éditions Douro, Collection La Bleu-Turquin ; 2022 [168 p.] - 17€

Le tour de force de ce roman de Claire Boitel est peut-être de parvenir à rendre vraisemblable une histoire improbable : la rencontre atypique de deux serial killers. Aussi, le titre qui ne manque pas de trempe : tuer des roses, interpelle. La brièveté des chapitres comme la concision de la narration coupent l’intrigue dans la chair (le cut linguistique !), active et réactive l’attention toujours sur le fil, le bord du suspens, borderline…  Les correspondances identitaires (Grégoire l’écrivant écrivain manqué qui s’auto-adore, face à « lui », le serial killer que Grégoire adore par identification perverse et narcissique), les correspondances statuaires (écrire comme on tue, word / work of death in progress : « Je marche dans les rues, à la recherche de mon premier meurtre. Je suis calme. C’est la page blanche. Encore vierge. Je me sens léger. Prêt à l’action ») et la mise en abyme du récit (« A-t-on le droit d’écrire en prison ? ») troublent les lignes... Quant aux échos à une actualité oppressante, ils font mouche et frappent où nos existences restent sensibles (« La vibration (du téléphone portable) que je ressens dans mon pantalon quand il est l’heure me rappelle toujours la chaise électrique des condamnés à mort »).

Jardins de poussière, Ken Liu (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 04 Janvier 2023. , dans Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

Jardins de poussière, Ken Liu, Folio, septembre 2022, trad. anglais (USA) Pierre-Paul Durastanti, 624 pages, 9,90 € Edition: Folio (Gallimard)

Ken Liu est sino-américain : émigré avec sa famille à l’âge de onze ans, fils d’une mère chimiste et d’un père ingénieur, et lui-même devenu ingénieur logiciel pour Microsoft tout en ayant étudié la littérature anglaise, puis le droit. Tout est dit. Ou presque. Disons que si ces données biographiques étaient les termes d’une équation, ils ne pourraient que démontrer l’excellence de Jardins de poussière, le second recueil de nouvelles de Ken Liu publié en français – outre une poignée de romans et une quadrilogie de fantasy toujours en cours de traduction.

En effet, cet auteur emmène le lecteur vers une forme d’étrangeté liée tant aux univers proposés – qui sont souvent « post-humains », ou du moins postérieurs à l’humanité telle que nous la connaissons – qu’à une « touche chinoise » troublante pour le lecteur occidental mais pourtant bienvenue, puisqu’elle semble insuffler une forme de poésie à certaines des vingt-cinq nouvelles ici recueillies. Cette poésie est peut-être ce qui permet à ces nouvelles d’échapper à l’étiquette « hard science » : Ken Liu a un esprit scientifique et refuse de laisser le lecteur dans le flou de notions vagues (on peut même enfin comprendre le pourquoi et le comment des cryptomonnaies au fil de Empathie byzantine, qui évoque aussi avec une relative férocité le « marché » des ONG) – tout semble plausible dans ces récits.