Identification

Les Livres

La Peur de peindre, Jacques Le Scanff (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 07 Février 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

La Peur de peindre, Jacques Le Scanff, préf. Claude Louis-Combet, éd. Fario, 2022, 13€50

 

Je tordrai à dessein la citation de Boileau dans L’Art poétique : « Ce que l’on conçoit bien s'énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément », pour faire valoir ce que la représentation écrite recouvre parfois de difficultés, d’obscurités, de tensions littéraires, propres à décrire les états divers du peintre et de sa peinture. Ici, cela aboutit à une écriture intense, pleine, mais qui reste assez maigre, sur laquelle il ne faut pas hésiter à revenir plusieurs fois (ainsi que le peintre use de sa brosse ou de ses pinceaux). Ici, donc, un petit traité de l’art de peindre. Ici, le sujet agissant et le sujet disant, faisant acte de création et revenant sur cet acte par écrit. Ici, enfin, un univers personnel tout autant qu’universel, lequel se satellise sur la vérité intérieure, la profondeur exigée d’un tableau.

Ceci dit, il faut rentrer plus avant dans l’ouvrage (illustré richement par des reproductions des travaux plastiques de Jacques Le Scanff). Lecture légèrement âpre, à l’image des allées et venues de Cézanne vers la Montagne Sainte-Victoire, escarpements, confrontation du regardeur et du regardé, comme si l’œuvre peinte faisait parole, énigme, affaire de style, endroit de coupure du poème et de la toile, réflexions, agissements, connaissances et pratiques. Nous sommes en l’espèce dans une forme de schize. Le mystère : peindre.

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Catherine Blanche)

Ecrit par Catherine Blanche , le Lundi, 06 Février 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Editions Maurice Nadeau

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny, Maurice Nadeau éditions, mai 2022, 275 pages, 19 € . Ecrivain(s): Catherine Dutigny Edition: Editions Maurice Nadeau

 

Catherine Dutigny, dans ce livre, ne donne pas seulement l’impression de vouloir amuser son lecteur : on devine qu’elle-même s’amuse autant que nous. Abordant les franges du conte, elle nous invite à retrouver l’innocence de notre enfance et à élargir, au fil des pages, l’étroitesse du monde réel. Il était une fois… Arsène le chat « point d’interrogation sur un fond de ténèbres ».

L’histoire se situe dans le Berry, précisément dans un petit village perché sur son promontoire de granit au cœur du pays du Boischaut contrée de légendes, habitée par des follets, fades, Pierres-Sottes, Casseux et Grand-Bête ou chien blanc, martes aux doigts crochus et sorcières birettes. Imaginez ce vieux village dressant devant vous ces « fortifications sévères ». « Vigie de pierre sur la mer verte des haies », il est bordé de « chemins creux », de « buissons sarmenteux » et de « roches moussues ».

Ainsi parlait, Stefan Zweig, Dits et maximes de vie choisis et traduits de l’allemand par Gérard Pfister (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Lundi, 06 Février 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Langue allemande, Arfuyen

Ainsi parlait, Stefan Zweig, Arfuyen, janvier 2023, Dits et maximes de vie choisis et traduits de l’allemand par Gérard Pfister, Edition bilingue, 192 pages, 14 €

 

Zweig l’a lui-même remarqué : son œuvre plaît toujours et partout parce qu’il n’en garde, en la composant, que le mouvement essentiel. Il préfère « élaguer » un développement pourtant réussi, sacrifier tout ce qui ne serait que bien écrit pour que le lecteur, devinant un auteur en sachant méthodiquement plus qu’il n’en dit, ne quitte jamais des yeux le secret qu’avec art on lui porte plus loin et dérobe. Mais il n’a pu, bien sûr, élaguer le (formidable) succès même qu’il en obtint (la renommée n’est pas une intrigue qu’on puisse rendre plus agile et sobre !), et son vœu constant de limiter strictement son influence propre à celle de son œuvre n’a pu s’exaucer que dans toutes les tragiques – persécutoires – dernières années où l’anonymat personnel l’attendit aux divers lieux où l’exil le jetait (il n’y était plus le visage identifiable de son nom).

« Même l’exil – je l’ai appris à suffisance – n’est pas si difficile à vivre que la solitude dans sa patrie » (§.203).

Les naufragés et les rescapés, Quarante ans après Auschwitz, Primo Levi (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 03 Février 2023. , dans Les Livres, Recensions, Essais, La Une Livres, Biographie, Gallimard

Les naufragés et les rescapés, Quarante ans après Auschwitz, Primo Levi, Gallimard (Arcades), 1989, trad. italien, André Maugé, 200 pages, 12,50 € . Ecrivain(s): Primo Levi Edition: Gallimard

 

Paru initialement en 1986 sous le titre original I sommersi e i salvati, cet ouvrage est l’ultime écrit publié du vivant de Primo Levi, mort l’année suivante. Le titre ne permet pas de saisir avant lecture la thématique fondamentale de cette longue et profonde et féconde réflexion sur les raisons ou plutôt les déraisons historiques, sociologiques, politiques, qui ont provoqué la solution finale, mettant à la fois en parallèle et en opposition d’une part ceux et celles qui ont disparu dans la nuit et le brouillard de la plus horrifiante et la plus insensée des abominations mises en œuvre par l’homme contre sa propre espèce, d’autre part ceux et celles qui y ont survécu, victimes, bourreaux et complices, et posant un certain nombre d’interrogations cruciales. Il y a eu d’abord celles qui se sont imposées à l’auteur lorsqu’il a appris la parution, en 1959, en Allemagne, d’une version en allemand de Si c’est un homme.

Je me sentis envahi par une émotion violente et nouvelle, le sentiment d’avoir gagné une bataille.

[…]

Dictionnaire des anthropologies, Mathilde Lequin & Albert Piette (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 03 Février 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Dictionnaire des anthropologies, Mathilde Lequin & Albert Piette (dir.), Presses Universitaires de Paris Nanterre, septembre 2022, 1076 pages, 25 €

 

Quand il arrive qu’on s’ennuie, le fait est là : on ne se sent alors plus guère avancé d’être un homme. On pense le monde, mais rien pourtant ne nous y intéresse. De même, dans l’angoisse : on préfèrerait carrément alors (mais toujours en vain, car toute préférence est humaine) ne pas être homme. On y est face au néant (chance que n’a jamais l’animal), sans face à face possible. Enfin dans la perplexité intellectuelle (troublé de devoir choisir sans savoir quoi, cherchant l’idée qui invaliderait les autres en terminant le problème), notre propre irrésolution, justement, nous paraît exclusivement et invinciblement humaine. Par exemple dans ce Dictionnaire des anthropologies, quand les conceptions de l’humain de 115 penseurs nous sont (en huit-dix pages chacune) remarquablement restituées, presque toutes convaincantes et presque toutes incompatibles, une certitude naît de notre trouble même : l’homme est l’être que la diversité des réponses à la question de son être rend perplexe. L’homme est le seul animal que le problème qu’il est intéresse : les problèmes qu’ils ont semblent largement suffire à tous les autres animaux.